Dieu sera sans pitié pour les impitoyables [Intrigue II - Terminé]

Deux femmes pouvaient se targuer d’avoir mis à genou l’impétueux Taranis : Meduna, la Déesse de l’Unité du Panthéon Celte, et Juliette Tessier, épouse de ce réceptacle occupé par la divinité. La Première avait eu plusieurs siècles pour savoir maitriser – ou plutôt attirer – la Foudre, là où la Seconde avait eu le destin de son côté. Depuis son arrivée au sein de cette famille, il y a une dizaine d’années, celle-ci n’avait plus connu la paix. Tantôt la paix, tantôt la tempête, tantôt unie, tantôt dispersée. Or, ce week-end, chacun était prêt à faire une trêve aux rancœurs passées ou actuelles : Taranis était prêt à jouer pleinement son rôle de père d’une famille adoptée par la force des choses, Juliette acceptait de quitter son silence moribond depuis qu’elle avait découvert que son époux comptait partir – sans rien préciser, incluant les raisons –, la petite Diane promettait d’être la fille modèle – et non cette sauvageonne violente – et enfin l’aîné, Armand, voulait bien mettre de côté toutes ses phrases cinglantes vis-à-vis de son irresponsable père.  

C'était la moindre des choses pour fêter l'anniversaire de la mère de famille, celle qui chapotait tout ce beau monde et qui savait le garder aussi soudé que possible.

Il ne fit pas les choses à moitié ! Sur les conseils de sa secrétaire, et avec son aide évidemment, il avait organisé un somptueux week-end à Istanbul. Il n’avait pas lésiné sur les dépenses, offrant le meilleur que la capitale turque pourrait offrir. Le programme avait été adapté, autant que possible, aux goûts de chacun … à l’exception de l’homme, naturellement. Son style de vie était la source du principal conflit. Il n’y avait nul besoin de raviver ce dernier. De plus, à force de côtoyer ces trois énergumènes humains au quotidien, il s’était surpris à apprécier cette ambiance familiale et bon enfant, à quelques occasions. Il ne le savait pas encore mais s’il venait à s’exiler ou qu’ils arrivent quoi que ce soit à ces trois énergumènes, il serait aussi triste et en colère que lors de la défaite et la dispersion de son panthéon.  

Insouciants, et d’humeurs excellentes, la famille Tessier était réunie autour d’une table, s’esclaffant sur quelques bêtises ou discutant sur des sujets divers. Discrètement, son épouse lui prend la main et plonge son regard dans le sien. Elle ne parle pas. Elle cherche des réponses. Cependant, elle n’obtiendra rien, si ce n’est un sourire confiant et deux prunelles flamboyant d’une énergie nouvelle. Cet échange silencieux s’interrompt lorsque leur fille s’exclame qu’il est l’heure des cadeaux. Aussitôt, chacun s’empare de son sac, pour le poser devant la reine de la soirée. Taranis s’était plié au rituel et, pour ce point-là, avait cherché lui-même le cadeau. A défaut de se souvenir de détails comme des dates d’anniversaires, la divinité savait quoi acheter pour plaire à une dame et surtout celle qu’il côtoie plus ou moins régulièrement depuis une décennie.

La scène est à peine remarquée dans ce brouhaha ambiant. Le restaurant était bondé et chacun parlait haut et fort. Ce n’était guère étonnant ou surprenant en Turquie. On se croirait dans le Nord, là où ils savent gueuler.

Action :

Il était immortel, mais il n’était pas invincible. Il avait senti chaque coup de poings, de pieds ou de couteaux reçus. Il avait saigné suffisamment pour que les médecins considèrent sa survie miraculeuse, lorsqu’il avait été trainé contre gré à l’hôpital. Tant d’emmerdes pour un Saint Graal chipé par une parfaite inconnue ! Il sentait bien que le Dieu Unique allait être tout, sauf heureux ou satisfait. Sa sentence s’était abattue, presqu’aussitôt. Il appelait à la Guerre Sainte, encore. Si les Européens pensaient que le terme était désuet, l’affaire était tout autre pour les régions où les croyances étaient encore fortes et où l’homme s’y accrochait telle une bouée dans une mer agitée.

Il devait y répondre, bon gré, mal gré. Autrement, il allait subir le courroux, encore, de cette autorité mystérieuse, invisible et omniprésente. Il y a bien longtemps que le brun avait cessé de se rebeller contre. Il avait trop perdu, et quasiment rien gagné : les forces étaient trop déséquilibrés pour qu’il s’entête dans un tel projet. De plus, plus que jamais, il ne pouvait pas être sourd à un tel appel. Ses blessures n’étaient pas totalement guéries, lui arrachant grimaces de douleurs au moindre mouvement trop brusque. Dans un tel état, il avait besoin de soutien. Il n’avait pas le luxe de s’isoler ou d’aller parader dans d’autres panthéons pour offrir soutien, arme ou artefact. La boutique était close, momentanément !

Il aurait pu continuer à rester au fond de son lit, à récupérer doucement mais sûrement. C’était sans compter sur un courrier particulier. Il savait, instinctivement, de qui venait l’ordre. Il ne pouvait pas refuser. Soupirant, il s’y attelle aussitôt, passant de nombreux coups de fil à ses contacts pour un coup de pouce. Tout allait se jouer, un certain soir, dans un restaurant appelé « La Main du Destin ». Il arrive, vêtu de noir malgré l’ambiance festive et chaleureuse. Il craignait que quelques points de sutures lâchent, et que certaines blessures saignent à nouveau - un peu, non abondamment évidemment. Il n’y avait nul besoin d’attirer l’attention avec une chemise blanche où toute trace de sang pouvait aisément être vue. Il ne peut pas s’empêcher de soupirer, ou de froncer les sourcils. Pour rester discret, il n’avait pas apporté son casque anti-bruit pour atténuer un tantinet cette fanfare humaine. Résultat, ses sens étaient envahis par tous ces sons, ces odeurs ou ces couleurs.

Il balaie la salle du regard, pour distinguer l’employé du client, le patron de l’employé et l’objet de ses désirs du commun.

Spoiler:

Jana exècre Istanbul. Bassin des religions monothéistes, encore aux mains d’illuminés… Sans les affaires, elle ne foutrait jamais les pieds dans ce trou à rats, où les hommes la regardent à la fois avec envie et dégoût. Jamais ils ne la toucheraient, qu’on se le dise. C’est une touriste, c’est indéniable, avec ses interminables cheveux blonds, ses yeux verts et sa peau de lait… Et on ne touche pas aux touristes. Il n’empêche qu’une femme, c’est fait pour être protégée, comme une perle, et certainement pas laissée à la merci des regards concupiscents des autres hommes. Jana est la panacée de tout ce que les musulmans, majoritaires dans cette partie du monde, détestent dans l’occidentalisme.

Ça ne l’a pas empêchée de séduire l’un d’eux, plus ouvert au monde de l’Ouest que d’autres. Gorkan. C’est comme ça qu’il s’appelait, quant à savoir si elle lui plaisait pour la possibilité d’avoir des papiers européens, ou si elle lui plaisait tout court, l’histoire ne le dit pas. Il n’a pas eu la possibilité de le lui confier, en fait… Même si Jana, en découvrant que Monsieur était un millionnaire cachant son jeu, pencherait d’avantage pour la seconde solution.

Monsieur vidé de sa vitae, la strigoï avait fait le tour du propriétaire, fouillé les coffres et tout ce qui s’en suit (évidemment, pris l’intégralité du liquide, des cartes de crédit et tout ce qu’il fallait pour siphonner les comptes en banque du malheureux jusqu’à la moelle), et avait fini par tomber sur une invitation. L’ouverture d’un restaurant. Le carton était beau, de très bonne qualité, l’écriture élégante… Se disant qu’il y aurait peut-être de nouveaux pigeons à plumer, Jana décide de se présenter.

Elle se veut fabuleuse. Parce que c’est Jana. Robe sublime d’un vert pâle qui met ses yeux en valeur, chevelure blonde interminable et bouche d’un rouge captivant, le personnel du restaurant, malgré son arrivée tardive, ne lui fait pas l’affront de la refuser en voyant son invitation, et la dirige diligemment vers l’intérieur du restaurant. Si elle prête attention à la décoration du lieu, elle ne s’occupe pas des gens présents… En tous cas, pas jusqu’à sentir une effluve bien commune. Un coup d’œil lui suffit pour repérer Johannes, et, sans surprise, en bonne compagnie. Jana se permet un discret sourire, avant de suivre le serveur qui la mène à sa table, où elle s’assied, toujours très élégante. Sans doute un peu trop pour un troquet stambouliote, mais elle s’en moque. Selon elle, on n’est jamais trop bien habillée. « J’aimerai un verre d’Aberfeldy, douze ans d’âge, je vous prie. Neat. » Le serveur acquiesce et la strigoï, maintenant installée, croise ses doigts, coudes sur la table, pour jeter un petit coup d’œil curieux alentours…

[Hj : Jana arrive, presque à la bourre, presque trop bien sappée pour l’occasion. Elle grille Johannes, et va s’asseoir à sa table et commande un whisky. Elle fait le tour de la salle du regard.]

Taranis sentait l’essence d’Esus ou de Ceridwen, lui arrachant un sourire au coin. Il semblerait que ses frères se soient décidés à abandonner leur solitude, pour se complaire dans les bras d’une compagne ! Son amusement est de courte durée : il sent également la présence d’autres divinités, mais de panthéons étrangers. Depuis la confrontation avec les Nordiques, la Foudre était tout bonnement méfiant, cherchant plus que jamais à savoir s’il était entouré d’ami ou d’ennemi. A ses yeux, la neutralité était une notion hypocrite usés par des lâches, attendant de deviner le camp gagnant.

Sa nervosité va en grandissant, lorsqu’il voit un nouveau visage familier : Masha Lancaster. Que fait donc sa cousine à Istanbul, alors qu’ils s’étaient vus à Paris il y a quelques jours à peine ? Il aurait voulu l’interpeller ou l’inviter à leur table, mais son projet est bien vite mis à mal entre l’arrivée impromptue d’une petite blondinette aux côtés de l’Anglaise. Il avait l’impression de la connaître. Il fixe, il cherche à savoir et il est à deux doigts de reconnaître la dame. Malheureusement pour lui, et heureusement pour ce duo, son attention est subitement happée par une dame, Amelia. Ses gestes discrets ne laissaient place à aucun doute sur ses intentions. Il savait qu’il pourrait quitter cette table pour une quelconque excuse – un coup de fil urgent– afin de batifoler avec l’audacieuse. Pourtant, il hésitait.

Il était divisé entre sa promesse faite à ces trois énergumènes d’être un père modèle le temps de deux jours et d’une nuit, l’envie de s’inviter à la table de Masha pour connaître l’identité de la blonde, le projet de réunir ses compères pour partager leur avis sur ces essences divines étrangères ou ce désir naissant pour cette étrangère si confiante et si sûre d’elle. Un choix était à faire.  Habitude de chef d’entreprise, il lorgne sur son téléphone. Il remarque bien vite qu’il n’y avait plus de réseau du tout. Il fronce ses sourcils, soudainement. Il semblerait qu’il ne soit pas le seul surpris, car voilà que quelques clients s’excitaient : ils ne pouvaient plus prendre de selfies à poster sur quelques réseaux sociaux. Le blond ne partage pas cette frustration.

Petit à petit, il élimine les choix les moins judicieux. Il se rétracte d’embêter les siens pour quelques méfiances sans fondement, ou encore de jouer le vieux stalkeur en agaçant deux demoiselles qui appréciaient un bon temps entre copines. Il se renseignera sur les raisons de leur présence, ou voyage, plus tard : chaque chose en son temps. Il ne restait donc plus que deux choix : être le père ou être l’amant. Juliette déballe petit à petit chaque présent, s’extasiant sur chacun avec un sourire éblouissant. Elle était belle, indubitablement, mais une beauté qu’il connaissait par cœur dorénavant et qui laissait ou qui lui plaisait selon leurs humeurs respectives. Amelia continue à se balader, devenant toujours plus une tentation dangereuse.

Sa décision était prise. Il finit par interpeller Amelia, pour poser quelques questions de pure courtoisie.

- Cette ouverture s’est fait entendre jusqu’à Paris, voilà un tour de force incroyable. Et, nous ne sommes pas déçus, je crois bien, dit-il, en passant un petit regard sur la petite famille tout sourire aux lèvres, papotant entre eux. Vous êtes la propriétaire de ce restaurant ?

Il y avait un hic à tout ce joli décor : le nom du restaurant. La Main du Destin. Elle avait des connotations funestes.

- La Main du Destin … voilà un nom original. Je suis bien curieux comment vous avez eu l’idée.

Spoiler:

Caïn était un chasseur avant toute chose. Il n’était nullement à son aise ici même, un lieu où il était à découvert et où il n’y avait pas assez d’angles morts pour se cacher et attendre patiemment que sa cible vienne à elle – ou soit à un angle parfait. De plus, le bruit s’intensifiait toujours plus. Les rires étaient plus forts, les exclamations plus fréquentes et les couvercles s’entrechoquant sur les assiettes plus nombreuses … La sueur commençait déjà à perler sur son front basané.

Dans ce méli-mélo, il remarque une figure familière et connue. Une personne qu’il était à la fois heureux et surpris de voir.  Sans plus de ménagement, et ne voulant pas être un benêt qui reste debout bêtement, il s’avance vers la table où le blondinet est bien seul. Il voit que le bras droit du propriétaire des lieux chuchote quelques mots, et il attend que sa fine silhouette disparaisse pour venir importuner à son tour l’acteur.

- Bonsoir ! dit-il, avec un faux entrain. Ses sens souffraient le martyr, dans ce bordel que les humains appelaient « restaurant ». Ça va ? demanda-t-il à l’adolescent blondinet dont les paupières étaient closes. Tu médites … ?

S’il faisait vraiment de la méditation au milieu de cette cacophonie et que cela fonctionnaire, le Maudit exigeait de connaître le secret ! Malgré les siècles et les millénaires, il n’avait toujours pas trouvé un moyen durable et efficace pour calmer ses sauts d’humeur dus à des éléments externes, comme une soirée extrêmement bondée ! Certes, les casques anti-bruit étaient d’une grande aide, mais ils étaient insuffisants.

- Ou tu travailles un nouveau personnage ?

Il venait de se souvenir que le petit acteur était extrêmement sérieux dans ses recherches. Il était allé jusqu’à le contacter, pour une quelconque transaction clandestine, dans l’unique but de découvrir ce monde, ses us et ses coutumes et surtout ses acteurs. Caïn avait conclu que la diva avait « de sacrées couilles », et qu’il méritait bien tous les grands rôles qu’il décrocherait dans le futur. Si un futur existait, à la fin de cette soirée. Des portes fermées, en toute discrétion, n’auguraient jamais rien de bon ! Malheureusement, Caïn ne le sait pas : en raison d’un migraine naissante – et qui promettait d’être insupportable, le Chasseur n’entend pas les doux et discrets cliquetis de nombreuses portes qu’on verrouillait. Il ne voit pas non plus. Fort dommage ! Voilà une information qui lui aurait été bien utile.

Malheureusement cette utilisation ratée de son pouvoir lui offrir une migraine terrible, le genre a vous rendre fou ... Il est à deux doigt de gueuler, fortement, un beau « Vos gueules ! », en anglais. La clientèle était très mixte : il y avait autant d’étrangers que de locaux.

- Tu fais quoi, à Istanbul ? Tu me suis ? dit-il, le ton de plus en plus irrité, les pommettes de plus en plus rouges. Sa tentative d'être un joyeux luron est un échec.

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