Kaze no uta [Intrigue II - Terminé]

Est-ce qu’Oyrania Weber était une mauvaise personne ? Voilà une question à laquelle il était très difficile de répondre.

Juridiquement, la demoiselle était la complice d’un crime imaginé par un odieux manipulateur. Père et fille profitaient de la crédulité ou de la vulnérabilité de certains pour les convertir à une religion polythéiste afin de les ruiner dans quelques cérémonies ou rituels couteux. Médiatiquement, la fausse blondinette était une petite folle vivant dans un monde marginal : elle représentait une religion perdue, dans un monde où les vieilles croyances n’avaient plus leur place. En apparence, elle était une gamine sans foi ni loi qui dépensait l’argent des croyants dans des futilités comme la mode, le maquillage, les magasins de magie ou encore les livres ou les conférences sur la psychologie humaine. Enfin, certains outrepasseraient les faits, les médias et les apparences, pour une approche bien différence : elle était autant une victime de son paternel, que d’autres ! Ces personnes mettront en avant qu’un père avait profité de son ascendant pour embrigader sa chair et son sang dans cette arnaque, qu’elle n’avait pas eu voix au chapitre, qu’elle a eu droit à un lavage de cerveau considérable.

Parmi toutes ces théories, qui a raison et qui a tort ? Et si personne n’était dans le vrai, ou dans le faux ? Il est possible de commettre de nombreux crimes, sans pour autant être « méchant ». Si un homme volait pour nourrir sa famille, ou qu’il tuait en légitime défense, était-il un mauvais bougre ? Si un malfrat se montrait impitoyable avec ses pairs, mais faisait preuve d’une grande bonté à l’égard d’honnête et honorable citoyens, pouvait-on le critiquer totalement ? Si une journaliste transgressait des lois ou des règles dans l’unique but de mettre en avant des vérités, était-elle en tort ? Un élément relie tous ces profils : la notion de culpabilité. Celle-ci apporte les nuances, et rend ce monde bien compliqué : rien n’est totalement blanc, ou noir. Il en était de même pour Oyrania.

Or pour desceller la nature de la demoiselle, il fallait chercher profondément. Il était nécessaire d’outrepasser les apparences, car en bonne magicienne et psychologue, la demoiselle avait fait de sa personne un mystère aussi épais et aussi opaque que la Nuit elle-même. Telle Mère, telle Fille. Un exercice bien difficile pour ces forces de l’ordre qui tentent de coincer la Secte, et qui s’attache à des détails inutiles, comme le fait qu’elle vient de dévaliser quelques boutiques aux Halles et qu’elle s’octroie un café au Starbuck avec l’argent des fidèles.

Sirotant son café tranquillement, les traits sereins, on pourrait croire à tort que la demoiselle est perdue dans ses pensées ou dans quelques rêveries. Loin de là ! Habituée à ce que sa vie passe sous la loupe, et enfant d'une génération où les réseaux sociaux sont une normes, la demoiselle ne fait aucun geste et ne prononce aucun mot sans y avoir réfléchi bien en amont. Elle sait que ses actions peuvent autant servir d'excuse aux inspecteurs de venir farfouiller dans les bureaux de son père que de perdre - ou de gagner - de nouveaux membres à la Communauté. Ainsi, ne vous trompez pas avec ses manières de petite Lady : elle est toujours aux aguets.

Action :

Depuis l’agression d’Oyrania, Midnight n’était pas tranquille. A en oublier qu’elle-même avait fait les frais d’une agression, elle aussi. Simple coïncidence ? Ca commençait à faire beaucoup, si c’en était une. Aussi, à son insu, la Nuit a-t-elle commencé à espionner sa fille, moins dans le contenu que dans ses allées et venues. Un appel à la compagnie de téléphone, et le tour était joué, elle pouvait suivre chacun des déplacements de la mortelle. Oyrania, comme tous les enfants mortels qu’a pu avoir Nyx, pousse la divinité dans une lutte interne entre le respect du libre-arbitre, et donc la non-action, et le désir de préserver son engeance, commune à la plupart des mères sur cette terre… En indécise, la Ténébreuse a opté pour une solution bâtarde entre les deux. Surveillance du téléphone, pour pouvoir espionner au besoin, de temps en temps, si la demoiselle devait avoir à subir à nouveau une agression.

En dehors des Champs Elysées, Nyx n’a aucun goût pour le shopping, encore moins aux Halles parisiennes. Des enseignes cheap, de mauvaise qualité, et une faune locale exécrable. La lie de l’humanité se concentrait dans cet endroit aux milles odeurs insupportables, aux millions de cris assourdissants… L’opium d’un peuple dont la simplicité l’endormait, pourvu qu’il puisse avoir son Starbuck. Le fait étant que la Ténébreuse n’est pas tranquille.

Piochant donc ce qu’il y avait de moins voyant dans sa penderie, voyant qu’Oyrania étant dans cette antre de la bêtise humaine et ignorant si elle y était seule, la déesse s’était vue pousser, non sans un certain dégoût, les portes des Halles… Blindées d’un monde odorant, comme elle le craignait. La carte interactive sur son téléphone l’informe de l’emplacement de la jeune femme, qu’elle cherche à apercevoir. La trouvant attablée à un café, Nyx se met ensuite à la recherche d’un poste d’observation discret et, se faisant… Rencontre une autre de ses filles, dont elle fait malheureusement tomber certains des sacs dans la bousculade. Rapide, elle s’empresse de ramasser tout ce qu’elle peut, et se redresse en souriant à Penelope, s’amusant du fait que son enveloppe ait l’air plus ancienne que la sienne, alors qu’elle est sa mère. « Ma chérie… Excuse-moi de t’avoir bousculée. Je suis contente de te voir. » La présence de Pénélope dans cet endroit est sans doute la seule bonne surprise…

C’est à peu près le moment que choisit la foule pour se fendre à moitié, se regrouper, muter et s’amonceler à nouveau en cercle. De là où elle est, Midnight distingue vaguement des couleurs vives, des vêtements et allures qui n’ont rien de conventionnel… « Hum, il semblerait qu’il y ait un spectacle par ici… » Elle glisse à Pénélope, avant de se retourner vers elle. « Souhaiterais-tu que nous prenions un peu de hauteur… » Elle désigne les escalators. « … Pour le voir ensemble ? » Elle propose, toujours envieuse de passer du temps avec ses enfants, et, peut-être, Pénélope acceptera-t-elle de l’aider à garder un œil sur sa cadette…

[Hj : Nyx déteste les Halles. Elle vient pour vérifier qu’Oyrania va bien, tombe sur Pénélope et lui propose d’aller voir le spectacle en hauteur.]

Oyrania n’avait pas d’amis ou d’ennemis « propres » : on l’adore ou on la déteste pour ce qu’elle représente avant tout. Pour certains, elle était la Guide dans un monde violent et injuste et la Voix d’une Divinité protectrice et maternelle. Pour d’autres, elle n’était qu’une escroc qui arrachait d’honnêtes parents – proches ou éloignés – des siens et qui les soumettait à son terrible joug. Autant dire, lorsqu’une brunette inconnue la fixe intensément et avec colère, et qu'une seconde brunette la dévisage avec intérêt, la fausse blondinette s’en méfie. Elle s’interroge : était-ce encore des proches d’un membre de la Communauté, ou était-ce tout simplement une femme jalousant sa moitié à chaque instant de sa vie et une autre femme curieuse par nature ?

Elle n’eut pas à réfléchir bien longtemps, car la flamme de colère de celle qui est accompagnée par un homme s’oriente aussitôt ailleurs, vers la foule. L’incident aurait pu se clore, si une gamine accompagnée de son père n’avait pas ne renverse pas du café au compagnon accompagné l’étrange femme. Le paternel interpelle le Gourou, tant par sa beauté que par ce visage familier. Il ne lui a fallu que quelques secondes pour reconnaître le Ministre de l’Intérieur – son père lui avait forcé à mémoriser chaque figure influente et politique française, et des plus grandes puissances étrangères. Elle aurait bien voulu se lever et le saluer, mais un nouvel élément vient perturber – encore – ses plans de la journée.

Le compagnon de la dingue hurle.
Littéralement.

Oyrania sursaute, renversant son café brûlant en partie sur sa petite main. Elle jure, à demi-mot, en se retenant de lancer un regard noir et colérique à l’encontre de ce couple qu’elle qualifiait de « givrés » et de « malades ». Elle ne désirait nullement attirer l’attention de ces derniers. Persuadée que la journée était condamnée à être qu’une suite de désastres ou de bizarreries, elle se décide à prendre ses cliques et ses claques et à retourner chez elle pour lire quelques revues ou recherches psychologiques ou à s’exercer à quelques tours de magie – en gros, deux domaines qu’elle maîtrise pleinement.

Cependant, elle s’arrête dans son mouvement. L’ambiance était électrique, malgré une animation japonaise bon enfant non loin. Instinctivement, elle marmonne une prière en grec ancien en l’honneur de Nyx que son père lui avait appris. L’acte pouvait paraître bien futile, car la divinité était liée à la Nuit et non au Jour. C’était sans compter sur les nombreux enfants engendrés par cette déesse primaire, chacun avait une fonction propre et différente de celle de leur mère. Klaus, le père d’Oyrania et ancien amant de Nyx, s’était appuyé sur cette engeance pour développer un large éventail de prières adaptées à autant de situation que possible : le jour, la prudence, la compassion, la Destinée, les enfers, la vieillesse, le sarcasme, la tromperie, les rêves, la mort, l’amour sexuel, la discorde …

- J’en appelle à la protection de Nyx, enfant du Chaos, mère d’Heremas le Jour. Dissipe, avec ton enfant, les terreurs qui luisent en journée, marmonna-t-elle, en pensant tour à tour à une nuit étoilée, à sa mère, et au jour même.  

Si elle ne croyait pas en une quelconque puissance supérieure ou divinité, ces prières l’apaisaient et l’aidaient à considérer une situation avec sang-froid. Lorsqu’elle se tait, elle avait retrouvé ce calme qui la caractérisait tant et avec une certaine superbe, elle s’empare de ses sacs pour quitter ce Starbuck d’un pas sûr, confiant et décidé.

« Ils sont fous. C’est tout. Je rentre ».

Elle ne peut pas s'empêcher de lancer un regard autour, notamment à celle qui la dévisageait sans une once de colère. Restait-elle, ou partait-elle aussi ?

Spoiler: