Nailea Flores ☾ To the moon & back

Mars 2018

Alors… Tu en dis quoi Trésor ? Je regardai ma fille, un sourire aux lèvres. Pas besoin qu’elle me réponde pour que je sache à quoi elle pensait. Ses yeux brillaient de mille feux alors qu’elle fixait le billet d’avion qu’elle venait de déballer après avoir englouti un nombre incalculable de pancake que Maryssa nous avait préparé ce matin. Il va falloir quelques semaines pour que tout soit prêt pour notre arrivée alors j’ai pensé que… Je lui tendais une nouvelle enveloppe qu’elle ouvrit encore plus rapidement qu’elle n’avait mangé les délices sucrés de son petit-dej’, toujours incapable de parler … Faire quelques détours serait une bonne idée. Tokyo, Sydney, Pékin, Kuala Lumpur, Venise, Londres, Istanbul et enfin Paris… Nous allions passer un bout de temps dans les avions et les hôtels, deux bons mois, mais qu’importe. Tout était bon pour le bon pour voir ce magnifique sourire sur les lèvres de Naya. Après tout ce qu’elle avait traversé… Je m’en voulais, et je m’en voudrais sans doute jusqu’à la fin de mon existence. Je n’avais rien vu, absolument rien vu. Je m’étais jurée de prendre soin d’elle et j’avais échoué. Si Maryssa ne l’avait pas retrouvé à temps, je… Non, je ne préfère pas y penser.

De nos jours

Ca fera trente-cinq euros… Par carte ? J’approchais le terminal à la vieille bique aussi impoli que son caniche. Elle me jeta un énième regard noir – comme à chaque fois qu’elle venait ici d’ailleurs – avant de composer son code en prenant soin de bien cacher les touches sur lesquelles elle appuyait. Le problème ? J’étais assurée trop « bronzée » à ses yeux. Mais les fleurs que je vendais étaient les plus belles de tout l’arrondissement et ma réputation de Fleuriste n’était plus à faire désormais. Les clients faisaient de nombreux kilomètres et affrontaient les bouchons du périf parisien uniquement pour venir m’acheter un bouquet. J’avais pensé un temps à mettre en place un service de livraison avant d’y renoncer…. Après tout, c’était la rareté qui les faisait venir et je préférais voir la boutique pleine que passer mon temps à répondre au téléphone ou à des commandes sur Internet. Internet… Je ne la connaissais pas, mais je connaissais son existence et cela me posait un problème, un véritable problème. Je n’étais pourtant pas hostile mais… Je ne sais pas, Elle m’inquiétait. Le pouvoir de ses Nouveaux Dieux sur les populations et les foules… Non, cela ne pouvait pas me plaire. Surtout en ayant une ado à la maison qui les adore littéralement même si elle ne se doutait pas de toutes les implications. Selon Naya, j’étais « dépassée ». Et pourtant, ce n’était pas faute de tout faire pour m’adapter, mais le monde avançait et bougeait bien trop vite, oui bien trop vite pour la Vieille Déesse que j’étais. A cette pensée je soupirais, tout en finissant de réajuster les fleurs dans le bouquet que Mme De Fontaine venait d’acheter.

Eté 2003

J’errais. Depuis combien de temps ? Je n’en avais aucune idée. Un an, une décennie, un siècle, allez savoir. Je n’étais pas ancrée dans ce monde. Comment le pourrais-je ? Seule, j’étais toute seule. Et la solitude ne m’avait jamais réussi. Jadis j’étais respectée, admirée. On me priait, on appelait à mon Nom, à ma sollicitude, à ma bénédiction. Je l’accordais quand je le voulais et me détournais quand j’en avais également envie. J’étais puissante, si puissante, si aimée, si adorée, si crainte aussi. Mais mon peuple avait été massacré, au nom de ce Dieu Unique, et de ses partisans. Mes fidèles avaient combattu. Ils avaient résisté. Mais ils avaient fini par succomber, et avec eux, je m’étais éteinte.

Elle ne pleurait pas. Si le Soleil n’avait pas éclairé les bras de la femme, je ne l’aurais pas vu, elle ce petit être fait de chair et de sang, si petit, si fragile… Elle ne pleurait pas alors qu’elle était désormais livrée à elle-même. Sa Mère morte la serrait toujours dans son giron, sa robe tachée de sang. Morte, cela ne faisait aucun doute, et depuis plusieurs heures maintenant. Ce rivage avait vu plus que son lot de décès, et en verrait encore bien d’autres. La nature faisait son œuvre et je n’étais désormais personne pour intervenir. Ce bébé allait mourir ici… De faim, de soif, ou encore mangé par les animaux sauvages. Le destin est cruel mais il est ainsi fait. Son sort avait été scellé à l’instant même où la personne qui lui avait donné la vie avait décidé de quitter son pays pour rejoindre celui de l’autre côté du mur, ce pays qui était promesse d’un meilleur avenir à ses yeux. Pauvre folle.

Elle ne pleurait pas. Emmaillotée comme elle l’était, elle ne pouvait pas bouger. Silencieuse, calme, comme si elle attendait que la Mort ne vienne la trouver… Ou la Vie. Ses yeux marrons trouvèrent les miens, sans qu’Elle ne le prémédite. Elle était trop petite pour me voir d’aussi loin, mais moi, moi je pouvais bien la voir. Et dès lors, je sus. Je sus que je ne pourrais pas la laisser là. Quelque chose en elle, quelque chose dans son regard me poussait à l’aider, à sortir de mon errance et à prendre soin d’elle. Folle. Moi aussi j’étais finalement Folle.

De nos jours

Naya ? J’appelais ma fille en bas de l’escaliers. Une minute, deux, puis trois sans réponse. Fronçant les sourcils, je me décidais à les grimper. Elle était rentrée, son sac abandonné dans l’entrée à côté de ses chaussures et de son manteau. Le rangement n’était vraiment pas son truc et j’avais appris avec le temps qu’il y avait des combats que je ne pouvais pas gagner, en l’occurrence faire qu’elle soit ordonnée faisait partis de ces « échecs »… Sans doute aurais-je plus lutté si j’avais dû passer derrière elle ? Sans doute oui. Et j’avais décidé que ce n’était nullement à moi de m’en occuper. Fière, je le restais, tout aussi « moderne » que j’étais devenue. Ne travaillais-je pas après tout ?  C’était notre colocataire qui s’occupait de tout cela à notre place. C’était sa « contribution au foyer » comme elle le disait. Depuis notre première rencontre, elle ne m’avait plus jamais quitté. Je l’avais aidé par une nuit de pleine lune à échapper à son époux violent et alcoolique, usant de mon maigre pouvoir devant elle… Puis avec l’aide de Charles, on avait foutu l’homme derrière les barreaux pour un bout de temps. Elle avait aménagé chez moi provisoirement le temps que tout se fasse et finalement elle n’était plus jamais partie, rare humaine à savoir réellement qui j’étais. Naya ? j’appelais une seconde fois ma fille et toujours sans réponse de sa part, j’ouvrais la porte de sa chambre. Allongée sur le ventre sur son lit, des écouteurs dans les oreilles dont se dégageait ce qu’elle osait qualifier de « musique », elle semblait fasciner par ce qu’elle lisait. Je restais un instant à la regarder. C’était là quelque chose dont je n’arrivais pas à me passer. Elle était tellement…. Tout pour moi. C’était dangereux. Oui très dangereux. Elle était humaine. Elle grandissait, vieillissait chaque jour un plus, jusqu’à disparaitre. Sa vie… Ce n’était qu’un grain de sable comparé à mon existence. Je le savais. J’aurais dû me débarrasser d’Elle depuis longtemps… Et pourtant j’en étais incapable. Pour Elle, j’étais prête à tout. Pour sa protection j’étais prête à côtoyer d’autres Divinités, et à sacrifier mon immortalité. Pour Elle, j’avais mis de côté mes recherches infructueuses d’Inti. Pour elle j’avais tué de jeunes âmes. Pour Elle, oui pour Elle-même si elle n’en avait aucune idée.

Mars 2018

Ils avaient prié. Ils avaient supplié. Ils avaient appelé leurs mères. Ils avaient demandé pardon. Mais c’était trop tard. Leurs destins avaient été scellés dès l’instant où ils avaient osé s’en prendre à Elle, Elle qui était tout dans ma vie… Elle qui, à bout de force, avait tenté de se supprimer en avalant le contenu de toute notre pharmacie… Elle qui n’avait jamais rien dit… Elle qui m’avait caché son mal-être et combien elle était malheureuse… Elle qui recevait chaque jour des insultes sur les réseaux… Elle qui se faisait bousculer dans les couloirs de l’école… Elle qui était harcelée par des camarades de classe.

Ils n’auraient pas dû s’en prendre à Elle. J’avais été impuissante jadis. Et si je n’étais plus que l’Ombre de moi-même, je restais une Déesse… Et je suis une Mère. Non, ils ne survivraient pas malgré leur supplice. Je comptais leur faire payer chaque souffrance qu’ils avaient fait endurer à ma Fille. Je ne les tuerais pas tout de suite. J’allais les laisser pourrir ici, là où personne ne les retrouverait. J’étais allée les trouver dans leur lit. Je les avais arrachés à leur drap et amenés ici, dans cet ancien lieu de pouvoir. Un par un. Demain matin, lorsque leurs parents viendront les réveiller, ils trouveront des chambres vides et une fenêtre ouverte. On penserait à une fugue. On les rechercherait, en vain. Ils étaient condamnés, et les dés étaient jetés.

De nos jours

On en reparlera quand je rentrerai jeune fille. Je raccrochais avec Naya, non sans être en colère. Si je m’étais attendue à cela… Elle en avait fait du chemin depuis notre arrivée à Paris, et je n’étais pas certaine d’apprécier ses dernières aventures. C’était, sans aucun doute, le lot de tous les ados de sécher des cours mais c’était bien la première fois que ma fille faisait l’école buissonnière pour aller je ne sais pas quoi avec je ne sais pas qui. Intelligente, vive d’esprit, elle s’était très vite adaptée à cette nouvelle vie. Elle maitrisait très bien le français et elle s’était très vite fait des amis ici. Je l’avais vu s’épanouir, redevenir heureuse. Jamais elle n’oublierait ce qu’elle avait subie, et elle était toujours suivi pour cela d’ailleurs. Mais elle était désormais guérie, et cela était derrière elle. Vivre ici, changer de pays avait été plus que bénéfique. Un nouveau départ pour une nouvelle vie. Je soupirais, avant d’envoyer un message à Charles et annuler notre rendez-vous, lui expliquant en quelques mots la situation. Je serai incapable d’aller boire un verre avec lui alors que j’avais une fille à punir. Quelque part c’était un bien pour un mal. Au moins avais-je une bonne excuse pour la priver de son ordinateur portable, son téléphone portable et de sorties… Même s’il n’était pas question que, de mon côté, je lève le pied sur ce point-là. Après tout, c’était elle la punie et non moi. Sur cette pensée, je renvoyais un message à l’Homme pour finalement maintenir. Lunatique ? changeante ? N’est-ce pas la pleine lune ce soir après tout ?

Juillet 2018

Vous en avez mis du temps Niemans. lachais-je, assise sur cette foutue chaise, les mains attachées à ses barreaux. « Pas de complication ». Ouais, et ça ce n’était pas une complication peut-être ? J’avais suivi son plan à la lettre pourtant. J’avais fait exactement ce qui avait été prévu, mais les choses avaient forcément mal tourné. Au moins, étais-je immortelle et n’avais-je rien à craindre des humains. Cela n’empêchait pas que des coups-de-poing ça faisait un mal de chien quand même. Heureusement que Naya était en vacances à l’autre bot de la France et n’aurait pas à voir la tête que je devais avoir… Et heureusement que j’avais annoncé des vacances à la boutique aussi. J’avais anticipé « au cas où », et j’avais bien fait… Tout comme accepter le deal avec ce Dieu que je ne connaissais pas vraiment. Il était venu me trouver après que j’ai été approchée par les « collaborateurs » de l’ancien proprio qui s’était bien gardé de me dire qu’il m’avait fait un prix d’ami uniquement pour se barrer à l’étranger et échapper à ses « amis ». Je comptais bien remettre la main sur lui, mais plus tard. Pour l’instant, j’avais juste envie d’une bonne douche, même si la journée était loin d’être finie. J’imaginais sans mal qu’on me traînerait pour que je fasse une déposition avant de me laisser rentrer chez moi. Quel programme merveilleux. Mais si je devais en passer par là pour les foutre tous derrière les barreaux, je le ferais. Car non-contents que j’ai refusé que ma boutique serve encore de plaque tournante de la drogue, ils avaient approché Naya. Elle ne s’était pas douté de quelque chose, mais moi, j’avais compris en les voyant « aider » ma fille à ramasser ses affaires qu’ils avaient par « inadvertance » renversées sur le sol. Sans ça, j’aurais laissé Niemans se débrouiller avec son enquête. Mais ils avaient franchi la ligne, et ils devaient payer pour ça, que ce soit par les moyens humains ou divins.

De nos jours

Où est-tu Inti ? Accoudée à la fenêtre, je regardais le soleil se lever peu à peu sur Paris. Je ne pouvais pas m’en empêcher. Chaque matin, j’étais là, à observer son ascension. Et chaque fois, je le regardais disparaître pour me laisser la place. Si j’avais mis de côté mon errance, j’avais toujours l’espoir de le retrouver. Il le fallait. C’était en moi. Nous étions les deux faces d’une même pièce. Nous étions indissociables l’un de l’autre. Il fallait que je le retrouve. Nous ne pouvions pas passer éternellement à côté l’un de l’autre. Ne mourrait-il pas chaque jour pour me laisser rayonner la nuit ? Je tournais la tête vers la silhouette toujours endormie dans son lit défait. Il ne tarderait pas à se réveiller. Il ne dormait jamais bien longtemps, lumière du jour ou non. Je restais encore quelques instants à regarder les rayons percer l’obscurité avant de me diriger vers la salle de bain typiquement masculine. Il n’y avait que le strict minimum, comme dans le reste de l’appartement d’ailleurs. On était bien loin du mien si encombré. Charles était ainsi, dans tous les aspects de sa vie. Il ne s’embarrassait pas de choses superflues, et c’était l’un des traits qui me plaisait chez lui. Nous avions mis du temps à nous apprivoiser et à nous faire confiance. Divin autant que je l’étais, mais d’un peuple qui était venu prendre la vie des miens, je ne pensais pas un jour que nous serions alliés, amis, confidents, et parfois amants quand l’envie nous en prenait. Nous nous apprécions pour ce que nous étions, avec nos défauts, nos qualités, sans rien attendre de l’autre, sans jouer la comédie. Il était le premier avec qui je m’étais réellement liée dans cette ville. Et je ne le regrettais pas, pas même nos débuts chaotiques. Nous avions vu d’abord la laideur de l’autre avant la bonté. Nous savions à quoi nous attendre l’une envers l’autre et c’était ce qui lui plaisait et ce qui me plaisait également. Pas de mauvaises surprises, mais une amitié sincère qu’on laissait vivre au grès du temps. Je ne voulais pas plus, je n’attendais pas plus. Lui non plus. Ca fonctionnait tant que ca fonctionnait. Et demain ? Et bien, demain, nous verrons quand nous y serons. En attendant il y avait une ado qui allait se lever d’ici 2h et je devais être rentrée chez moi entre-temps pour déjeuner avec Elle.

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