Cassandre Argyre - Madness

Olympie juillet 2020.

Le temple d'Hera d'Olympie. Aujourd'hui, ce ne sont plus que des ruines que des millions de gens viennent visiter, par curiosité ou parce qu'ils aiment l'histoire qui se dégage de ces lieux. Assise contre une colonne, je les regarde passer avec une certaine indifférence, l'air ailleurs, absente. Pourtant ce lieu est chargé d'histoire, de souvenirs, un rappel d'un temps ancien que je ne connaîtrais plus désormais. L'âge d'or du panthéon gréco-romain. Héra, Junon, deux noms pour la même personne. J'arpente cet endroit telle une ombre, un vestige parmi les vestiges, quelle ironie. J'aime venir ici, j'aime me rappeler, me souvenir. Même si ça fait mal, même si certains de mes souvenirs ne sont plus réellement exacts. Je ploie sous le poids des ans, mais je suis toujours là, juste un peu en retrait. Je me suis fait oublier, on m'a oublié, moi Hera, celle que l'on priait pour avoir protection ou l'assurance d'avoir un mariage heureux ! Moi qui étais protectrice des femmes, déesse du mariage, mais aussi gardienne de la fécondité dans un couple et protectrice des femmes enceintes. J'ai fait le bien autour de moi, protéger des femmes, garantie le bonheur, apporter la joie d'avoir des enfants et on m'a oublié. Je ne suis pas la seule dans ce cas, le temps fait son oeuvre ! Il est si loin l'âge d'or de notre panthéon ! Mais tout n'était pas rose pour autant. La guerre, les infidélités de mon mari -quelle ironie quand on y pense- les tensions entre nous et puis l'émergence d'un nouveau panthéon, la religion chrétienne qui prend de l'ampleur en même temps que Dieu et ses sbires et nous, nous sombrons peu à peu dans l'oubli ! Nous avons essayé de lutter, de garder notre souveraineté de l'époque, mais peine perdue. Et lentement mais surement, l'humanité pour laquelle on avait tant oeuvré, tant donné, nous a oubliés. Mais malgré tout, il y a des souvenirs que je ne voudrais effacer pour rien au monde ! Mon mariage avec Zeus, mon frère, la naissance de nos enfants et le bonheur que ça été de les voir grandir ! Mais il y avait aussi ces moments plus sombres où je devenais folle, cruelle, manipulatrice quand j'apprenais que des infidélités de mon mari étaient nées des enfants ! Je ne pouvais pas supporter cet affront ! Alors je me suis vengée et on en parle encore aujourd'hui dans certains textes, Heraclès, Io, Lyssa,ont subi les foudres de ma colère et la liste est longue ! Et pourtant, je n'ai jamais eu aucun amant, je lui restais fidèle parce que nous étions mariés. Je ne pouvais pas être une femme volage alors que je bénissais des mariages, cela me semblait si improbable ! Et pourtant, j'ai essayé plusieurs fois de me venger de lui, sans succès, à croire que la chance n'était pas de mon côté. Mais j'ai aussi aidé pas mal de héros et leurs actes ont traversé les âges. Cela me fait rire quand je lis les livres les concernant, parce que rien n'est réellement exact, mais je ne peux pas décemment leur dire qui je suis, on me prendrait pour une folle. Alors je reste avec mes souvenirs, mes joies, mes peines, mes souffrances et mes plans de vengeance inachever.

Je suis resté un moment dans l'Ether avant de trouver un corps ou me réincarné. Je n'avais pas la notion du temps, mais quand j'ai effectivement pris possession de ce corps, l'époque des grecs et des romains était de l'histoire ancienne depuis bien longtemps. J'ai mis alors cette occasion à profit pour voyager dans une Europe ravagée par la guerre, mais je suis bien vite revenue en Grèce, berceau de cette civilisation qui m'avait tant apportée et à qui j'avais tant donné. Je cherchais sans trop chercher mon époux, mais j'étais plus active dans la recherche de mes enfants. Je voulais les retrouver, les avoir près de moi, hélas mes efforts étaient vains. C'était donc ça qui m'attendait ? Erré sans fin pour trouver mes enfants ? Est-ce que c'était une punition pour avoir été si cruelle envers les enfants ou les maîtresses de mon mari ? Sans doute, mais cette absence, ce vide, je n'arrivais pas à le combler. Mes enfants étaient ma plus grande fierté -excepté Hephaïstos, mais c'était particulier - et je voulais les revoir si c'était possible. Si je foulais de nouveau cette terre, eux aussi, non ?  Ce fol espoir me fera rester en Grèce des siècles durant, retournant dans l'Ether à la mort de mon hôte et attendait patiemment d'en trouver un autre afin de poursuivre mes recherches. Je ne voulais pas renoncer, mais plus le temps passait, plus je me disais qu'il était sans doute vain de chercher, qu'un jour où l'autre, ils retrouveront tous le chemin qui les conduira à moi. Et peut-être que je pouvais profiter de cette chance qui m'était offerte de pouvoir vivre un peu pour moi, tout en respectant mes engagements envers Zeus, même s'il y avait fort à parier que j'aurais des maîtresses à châtier quand je lui mettrais la main dessus. Encore que je n'avais plus le même pouvoir qu'avant, mais j'étais bien curieuse de le savoir.

Les années passent, puis les siècles sans que je ne retrouve un seul de mes enfants, pourtant, je le sais, ils sont là, quelque part. Et je me dis que c'est pareil pour le reste de ma fratrie, je le sens au plus profond de mon être, mais je n'ai pas le temps, ni l'envie de me lancer une fois de plus à corps perdu à leur recherche. Je n'ai jamais réellement quitté la Grèce, à chaque fois que j'essaye, je finis toujours par y revenir, comme un besoin, une envie irrépressible. Les époques se sont succédé, tout change, évolue, pas forcément dans le bon sens, mais je m'en tiens à ce que je sais faire. Je protège les femmes, j'essaye du moins. C'est de plus en plus difficile avec le temps qui passe, j'ai perdu énormément de pouvoir depuis que je suis une divinité reléguée au simple rang de mythe. Si seulement les mortels apprenaient la réalité, mais je savais que ça ne serait pas une bonne chose. Les mortels ne sont pas faits pour avoir un accès direct aux dieux, même si certains d'entre nous n'y faisaient pas grand cas. Et il fallait que je m'occupe l'esprit, alors j'ai décidé de me trouver un travail. Ce qui n'avait rien de simple au départ, mais j'ai assez vite pris le pas et très vite une idée m'était venue. Aider les hommes ou les femmes à trouver l'amour. Certes, dis comme ça, c'est un peu ridicule, mais je suis la déesse des mariages et c'était à mon sens ce qui se rapprochait le plus de ce que je savais faire. Mais il me faudra encore pas mal d'années avant de réalisé ce souhait. Et puis j'ai finie par quitter Athènes et la Grèce pour Istanbul en Turquie. Et je suis immédiatement tombée sous le charme de cette ville. Rien ne remplacera l'Olympe, ni la Grèce, mais je me sentais à l'aise dans cette ville où les cultures se mélangeaient dans une douce harmonie. Evidemment, il y avait quelques tensions, mais en règle générale, les choses se passaient bien. Et c'est là que j'ai décidé de bâtir mon rêve. Mon agence.

Paris... Je déteste cette ville, je préfère de loin Instanbul, ville qui a beaucoup plus de charme à mes yeux, mais on ne peut pas tout avoir. Je m'y rends plusieurs jours par mois, vu que j'y ai également une agence sur place. Les temps changent, mais le besoin des hommes et des femmes à trouver l'amour en revanche ne faiblit pas, je les aide dans un sens et donne souvent ma bénédiction quand on m'annonce un mariage. C'est mieux que rien au final, non ? C'est dans cette ville que j'ai ressenti la mort d'un dieu. Cela a été brutal et compliqué à comprendre et assimilé. Mais très vite j'appris qu'il ne s'agissait pas d'un dieu de mon panthéon et j'en fus soulagée, même si j'avais un peu peur que ça ne se reproduise. Mais la vie continue malgré tout et il nous faut bien avancer. Je n'ai toujours pas de nouvelles des miens et ça m'inquiète autant que ça me rassure. Et puis il a eu l'accident à Istanbul. Le Graal n'avait été qu'un appât et ça s'était mal terminé. J'ai été blessée et j'eus surtout eu peur parce que je me rendais compte que personne n'était à l'abri.