Morgane Moore

Soupir. Un, deux. Soupir. « Dis moi ... » Aucune promesse ne peut être faite dans ce genre de situation. Soupir. Un, deux, trois. « Dis moi ce que tu veux ... Dis moi ce que tu attends ... » Soupir. Un, deux. Nos mains sont liées, je sens ton souffle au creux de ma nuque, tes lèvres dévorant ma peau, j'entends ta voix, j'entends des suppliques. Mais je garde les yeux fermés. Soupir. Un, deux, trois. Tu te mords la lèvre, je le vois, ne sois pas muet face au plaisir qui te gagne, laisse le faire, laisse venir et déferler en toi … Il n'y a que le lâcher prise qui nous libère vraiment. « Prends ton temps comme un rêve qui se réalise. » Il ne faut pas que le jeu s'arrête, il ne faut pas que le feu s'éteigne, je veux faire de ce lit un brasier qui nous conduira tous les deux jusqu'au ciel, ou dans le cœur de la terre et sa terrible fournaise. « Viens et aime moi, je ne veux pas que cela s'arrête. » La respiration est plus sourde, la tension semble s'insinuer dans chacun de tes muscles que je parcours de mes doigts agiles. Pourtant, tu frissonnes encore, sous cette caresse délicate alors que tout ton corps se tend progressivement sous la frénésie de l'acte. Ton front se met légèrement à perler sous l'effort qui est le tien, tu trembles même légèrement alors que ton regard se perd dans le mien, avant d'atteindre un point dans lequel je ne peux te suivre. Tu me donnes tout ce que tu as, tu me donnes tout ce que tu es, dans un absolu abandon comme si tu venais à jouer ta vie sur cette simple partie de poker. Tu voudrais que je t'en donne autant, mais il y a bien longtemps que je ne donne plus rien, que je ne fais que prendre, dans une pure volonté hédoniste et égoïste, pour me sentir vivante quelques heures, quelques minutes, quelques secondes dans des bras puissants, ou dans des visages graciles, parfois même juvéniles, hommes ou femmes. Le plaisir n'a pas de sexe, l'amour n'est que question de cœur, trop prompt à se laisser berner et piétiner. Soupir. Un, deux, trois. Tu as tout donné honey et tu t’effondres à mes côtés, fier de ton coup, convaincu de tes atouts majeurs. J'ai noyé ma peine dans l'ivresse du bonheur éphémère, mais pouvait-on sincèrement parler de bonheur ? Soupir. Un, deux. La partie est jouée, il ne reste plus qu'à rendre les armes, jusqu'au prochain combat.

Le brave s'était endormi s'en demander son reste, tel un conquérant après une grande journée à terrasser l'ennemi et pensant avoir mis ce dernier à genoux, et reconnaissant sans doute de l'avoir aussi brillamment sauvé de lui-même. Elle s'était glissée hors du lit, une fois certaine que le bel Apollon à ses côtés s'était transformé en ours en pleine hibernation et elle était allée se chercher un peignoir moelleux pour pouvoir y réchauffer son corps encore nu et légèrement tremblant sous le coup du léger courant d'air qu'il filtrait de la fenêtre. Il lui fallait prendre l'air au plus vite, il n'y avait que dans le cœur de la nuit, quand le froid venait à mordre sa peau qu'elle se sentait parfaitement à son aise. Elle avait gagné alors le toit terrasse que possédait la chambre d'hôtel dans laquelle elle se trouvait, avec l'une des plus belles vues de Paris, d'un côté l'Arc de Triomphe s'imposant de toute sa largeur et de toute sa splendeur. De l'autre côté, on pouvait voir la Tour Eiffel, tel un phrase dans la nuit qui venait à se mettre à scintiller. Meduna avait été une des premières à pouvoir monter dans la Dame de Fer à l'époque, juste avant son inauguration officielle. La règle d'or de ce monde était de connaître les bonnes personnes et de vous assurer d'être assez craint ou désirer pour qu'on vous ouvre toutes les portes. Le XIXème siècle avait su mettre la France, et tout particulièrement, Paris à feu et à sang, après diverses révolutions, coups d'état et régimes politiques qui n'avaient aucun désir de s'effacer pour les besoins d'un autre. Telles les religions. Cependant, l'Exposition Universelle de 1900 avait ouvert la porte sur un XXème qui se devait d'être rayonnant pour tous. Il avait été comme tous les autres siècles, un nouveau siècle de combats où l'ingéniosité de l'homme était au service de la mort de celui-ci, toujours en plus grand nombre. Mais après toutes ses années, la belle de fer continuait à rester debout, imprenable, insurmontable, intemporel, invincible. Avec un sourire malicieux, elle s'installa sur le rebord en pierre du balcon, laissant ses jambes nues se balancer dans le vide, portant à ses lèvres une coupe de champagne à ses lèvres, le dégustant doucement, bien que son palais était depuis bien longtemps habituée à cet alcool pétillant. Elle se demanda alors si c'était pour son partenaire d'une nuit ou pour cette vue exceptionnelle qu'elle était venue ici ? La question était bonne à poser, la concernant. Elle pouvait sans aucun doute répondre qu'il était possible de mêler l'utile à l'agréable, considérant l'agréable comme étant le moment qu'elle était en train de passer sur un coin d'une terrasse parisienne.

Profiter de la vie, voilà le mantra qu'elle ne cessait de se répéter depuis une éternité à présent. Elle avait le désir de se perdre, dans l'ivresse, quelle qu'elle soit. Elle usait et abusait même de tout ce qui pouvait provoquer cet état d'esprit et de corps, elle avait l'ardente volonté de se perdre, de se perdre dans le délice et la volupté, pour pouvoir oublier pour quelques heures, quelques minutes que la vie était bien futile et qu'il n'y avait finalement que trop peu de moments de bonheur, où tout semblait être possible. Dépendante, de la soif de vivre, elle était l'essence même de ce qu'on appelait l'union. Elle était de tous les rituels qui venaient à exiger le rassemblement et la célébration de la vie, comme un acte nécessaire, voir même essentiel pour pouvoir motiver l'ensemble des troupes et participer à l'effort collectif. Ce temps n'avait jamais totalement fini, elle avait été de toutes les fêtes, de tous les divertissements, de tous les vices et les excès au cours des siècles qui s'étaient écoulés. Elle avait besoin de cela pour vivre, et quelle que soit la noirceur du monde, il était important de pouvoir lâcher prise. C'est ce qu'elle avait fait, pour elle, pour se sortir de cet engrenage qui s'était petit à petit mis en route. D'une certaine façon, elle avait régné sans couronne, elle avait un jour compté, réellement compter, elle avait été mise sur le devant de la scène. Elle n'était pas une entité majeure, mais elle avait eu sa place dans le panthéon qui était le sien, et elle avait profité à chaque seconde de celui-ci, de tout ce qu'il pouvait lui apporter. Et elle avait tout donné, sa fougue, sa détermination, son appétit pour l'existence ; son corps parfois aussi, non comme un moyen de parvenir à ses fins, contre un quelconque chantage, mais bien pour l'ivresse de l'instant, celui d'avoir un peu de chaleur humaine, et de tenter tant bien que mal de soigner son cœur blessé. Car n'était-ce pas là le nœud du problème ? Avec les siècles, elle avait fini par se faire à l'idée qu'elle ne pourrait plus jamais être celle qu'elle avait été. Qu'elle n'aurait plus jamais cette aura, ce pouvoir et cette aura qu'elle avait eu pendant les belles années de la Gaule. Même si celle-ci n'était pas pleinement unifiée, les croyances avaient été partagées par tous. Elle ne cacherait pas qu'elle avait aimé ça, elle avait terriblement aimé ça. Et puis l'envahisseur était venu, et si pendant un temps, il avait semblé que la cohabitation avait été possible, il n'y a plus eu que la soumission qui s'était imposé. Les Celtes devaient devenir romains, dans tous les aspects de leur vie. Et si les moments d'union étaient toujours une force, et un moment bien souvent de volupté, elle n'était pas plus celle que l'on désirait dans ses instants. Et lui non plus ne la désirait plus.

Teutatès avait été sa force, mais un jour, il était devenu sa plus grande faiblesse. Il avait suivi les hommes, il avait suivi la guerre, il avait continué à être le dieu qu'il était, et de ça elle ne pouvait lui en vouloir. Mais il s'était perdu dans d'autres bras, dans ceux d'une déesse qui n'était pas elle, qui n'était pas celte. Il l'avait trahi, il les avait trahis, montrant alors aux yeux de tous les faiblesses qui étaient les leurs. Il n'était pas le seul responsable de la décadence des croyances des hommes bien loin de là, mais Meduna n'avait jamais eu la force de pardonner. Elle avait fait ce qu'elle avait pu pour qu'ils restent forts ensemble, mais avait véritablement manqué à son devoir et n'avait pu qu'en accepter les conséquences derrière. Quand elle avait dû dire adieu aux siens, une longue errance avait alors commencé pour elle. Elle n'avait jamais manqué de s'adapter au monde qui l'entourait et aux changements qui allaient avec. La fête devait continuer, mais plus elle se perdait dans l'ivresse de l'instant, dans la passion du moment, et moins elle se sentait heureuse, plus elle se sentait seule, irrémédiablement seule. Elle avait cherché du réconfort auprès de nombreux dieux, puis de nombreux humains, qu'ils soient hommes ou femmes, elle voulait revivre cette étincelle qui pouvait faire vibrer les gens jusqu'au plus profond de leur âme. Qu'importait le sexe, la couleur de peau, la forme des yeux. Elle avait besoin de se sentir vivante. Elle aurait sans doute vendu son âme pour cela. Mais au final, elle ne faisait que survivre, jour après jour, année après année, siècle après siècle. L'Europe n'avait plus été assez grande et elle s'était attaquée au reste du monde. Pour autant, on finissait toujours par revenir chez soi et c'était ainsi qu'elle avait regagné la France, quelques années auparavant. Elle avait ainsi recommencé une nouvelle vie, pleine de jeunesse et de fougue. Elle s'était prise de passion pour le cabaret, et le monde de la nuit. Cela ne faisait que quelques mois qu'elle était de retour à Paris, trouvant un travail dans le monde très sensuel de la danse lascive et suggestive du burlesque, elle avait fini par entrer au Crazy Horse et était devenue très vite la coqueluche des représentations. Ce n'était pas un simple spectacle, c'était ce qui la faisait tenir debout, ce qui la faisait frissonner quand les regards se posaient sur elle, désireux.

Et c'était ainsi qu'elle s'était retrouvée ce soir-là, dans cette chambre de luxe d'un palace parisien, avec un homme pas si décevant que cela, bien qu'elle vienne à apprécier bien plus de voir les premières lueurs de l'aube se lever que de retourner dans le lit à ses côtés. Finalement après avoir entendu la sonnerie de son téléphone portable, elle dut accepter de rentrer dans la pièce pour pouvoir mettre la main dessus. Sans grand étonnement, elle avait trois textos de ses amies lui demandant de venir les rejoindre pour l'after de la fête qu'elle avait quitté quelques heures plus tôt et deux appels en absence de leur part, dont les messages vocaux montraient tout de leur alcoolémie avancée. La lumière du téléphone eut fini par réveiller son amant, qui se mit à bouger à côté d'elle, venant se presser contre son corps, il commença à embrasser la peau de son bras, ses lèvres donnaient l'impression d'être deux ventouses qui laissaient une trace baveuse derrière elles. Il semblait croire à un second round, mais ce n'était clairement pas dans le programme. Se soustrayant à ses tentacules, elle sortit du lit rapidement, venant à récupérer ses affaires et se rhabillant sous les yeux presque interloqués de son hôte nocturne. « En tant que bon mâle dominant, j'imagine que tu es en train de te demander pourquoi je te quitte alors que le soleil ne s'est même pas encore levé ? » Elle lui adressa un sourire malicieux mais néanmoins moqueur. « J'imagine aussi que d'habitude, c'est toi qui fais ce coup-là aux jeunes demoiselles dans leur appartement… En sortant une phrase du style… Ce n'est pas toi, c'est moi, on n'a fait un bout de chemin ensemble, c'était sympathique, mais tu comprends, je suis un homme qui n'est pas prêt à s'attacher à une femme comme toi, car après, j'aurai trop peur de te perdre … Il vaut mieux que nos routes se séparent ... » Elle finit de boutonner son chemisier, remit sa veste et s'approcha de lui, tapotant doucement sa joue. « Tu remplaces il par elle, tu te refais le petit discours dans ta tête, et la prochaine fois que tu voudras le sortir à une fille, tu repenseras à moi ! » Elle lui fit un clin d’œil avant de récupérer son sac à main et de se diriger vers la porte de la chambre. « Au fait, les petits bruits que tu fais pendant … Franchement, arrête, on dirait un chat qui s'est coincé la queue et qui est en train de miauler pour appeler à l'aide ».

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