Une discussion animée [Ileana] [Intrigue II- Terminé]

Une fois n’est pas coutume, il pleut. Paris. Bonne bouffe, certes, mais temps de merde. Ça aurait pu être pire pour Ileana, cependant. Elle aurait pu rester à Londres. Ou pas. A bien y réfléchir, la sainte n’en avait jamais vraiment eu quoi que ce soit à carrer du temps qu’il faisait. Qu’il fasse chaud de façon tropicale, comme dans le désert aux portes de Jérusalem, du temps des croisades, ou que le froid soit si intense que si on n’y prend pas garde, on perd ses orteils, comme dans sa Kiev, la météo n’a jamais été quelque chose que l’apparente jeune femme voulait subir. Alors, dans sa course jusqu’au Sacré-Cœur, un simple imper fait l’affaire, et tant pis si elle est mouillée.

Dedans, elle se secoue, et salue l’homme d’église qui vient à sa rencontre, sous les regards curieux des touristes qui, eux, sont loin de se voir gratifiés d’un tel accueil. A la façon dont ils se serrent la main et s’embrassent la joue, les indigents comprennent volontiers que l’apparente jeune femme est en relation étroite avec le personnel de l’Eglise, sans doute l’une de ces bourges qui a été baptisée ici, parce qu’évidemment, il n’y a que les bourgeois, qui sont détestables, qui peuvent se permettre d’avoir des lieux tels que le Sacré-Cœur pour leurs cérémonies religieuses… S’ils savaient… songe Ileana, en repensant aux rives de la mer Noire…

Quoiqu’il en soit, son affaire, à savoir une confession ainsi qu’un don aux bonnes œuvres de l’Eglise, se passent parfaitement bien. Si bien qu’elle a le cœur bien plus léger en quittant l’édifice, si bien qu’elle siffle même en poussant les portes, et ce, malgré la pluie battante. Et puis… Et puis, c’est la douche froide. Aussi bien métaphorique que littérale. Il suffit que ses yeux vairons tombent sur la silhouette qui s’approche d’elle, tout sourire, pour qu’elle se sente pousser des envies de meurtre. Il ne va pas vraiment m’approcher ? Elle se demande, mais si ! Cet inconscient vient vers elle, et trouve même le moyen de plaisanter, avant de l’inviter à aller parler. Parler ? Ileana vrille. Elle l’attrape, sans prévenir et sans la moindre espèce d’aménité, y mettant tout de sa force, divin cadeau du seigneur, par la clavicule, y plongeant allègrement son pouce, entamant la peau à travers les tissus du vêtement comme s’il s’était agit de beurre. « Discuter… ? » Elle feule, doucereuse, mauvaise comme la gale. « Et que crois-tu que nous pourrions avoir à nous dire, démon ?? » Elle lui craque presque ce mot au visage, dans un état de colère qui trahit tout de la profonde aversion que provoquent chez elle les rejetons du diable, et ce, malgré leur appartenance à un panthéon commun…

Haineuse, elle repousse le démon sans aménité, le nez froncé de colère, prête à en découdre. « Passe ton chemin, misérable cancrelat… Ou souffre la colère du divin s’abattant sur toi… » La menace est claire. Ils ont beau être au milieu de Paris, Ileana, loin d’être sans ressources, n’a surtout aucune limite. Elle n’en a jamais vraiment eu, du reste, mais si elle doit abattre le véhicule du démon de trois balles dans la tête et d’autant dans le cœur, elle est parfaitement équipée pour se faire. L’arme qui attend sagement, au chaud, sous l’imper, contre ses reins, peut en attester…

La politesse? Qu'est-ce que c'est, exactement, la politesse? Du temps de sa vie mortelle, c'était très codifié, on devait la saluer selon son titre, et les militaires selon leur grade. Certains ont appelé cela plus tard le protocole. Chez les japonais, épéistes de talent, ils ont appelé ça le Bushido. En somme, on donne beaucoup de noms à la soi-disant politesse, mais, comme les japonais avec le Bushido, ce ne sont que des codes que les hommes inventent pour régenter leurs échanges et trouver des excuses pour réprimer leur soif de sang. Assassiner froidement quelqu'un a toujours été mal vu... C'est que, l'humain, de toutes les créatures, est celle qui supporte le moins la surprise. L'humain, petit être sociable, doit, pour pouvoir s'épanouir, ne pas avoir la peur au ventre qu'un tiers le tue à vue, comme ça, sans raison. Olga, si elle n'a jamais été gratuite dans ses meurtres, n'a pas le souci des dommages collatéraux. Elle ne l'avait pas de son vivant, elle ne l'a toujours pas maintenant. De ce fait, si elle doit débarrasser pour un temps le monde du démon qui lui fait face, quitte à faire face à des poursuites qu'elle aura tôt fait de faire disparaître, elle s'en fout comme de l'an quarante. Le démon le réalise-t-il? Sans doute que non puisque, le naïf, en appelle à son bon sens! Sauf que le bon sens d'Olga n'a pas grand chose à voir avec le bon sens commun moderne. « Si des hommes peuvent battre leurs femmes dans l'indifférence générale, tout ce à quoi je m'expose, c'est te ridiculiser...» Un double-standard dégueulasse, certes, mais ce n'est pas elle qui fixe les règles, n'est-ce pas? « Je me moque de ce qui t'arrange, démon, et je me moque encore plus que, selon toi, nous faisions partie de la même "famille"...» De famille, Olga n'en a plus depuis des siècles. Des siècles qu'elle n'a plus jamais considéré qui que ce soit comme lui étant proche, des siècles qu'elle traverse les siècles, seule, avec uniquement la Foi dans son Dieu, et dans le rôle qu'il lui a dévolu. Ileana ne tricote pas plus les lois des mortels que celles des immortels, elle doit seulement s'y conformer, avec une certaine largesse compte tenu de sa nature...

Alors, froide comme la glace de Kiev, la sainte défait son imper, retire posément l'arme qui ceignait ses reins, et la charge, tranquillement, sous le nez du démon. « Je te laisse très exactement cinq secondes pour m'intéresser...» Elle pointe le silencieux au bout du canon de son arme de poing, sécurité levée et doigt sur la gâchette, entre les deux yeux de Belzébuth. « Ensuite, soit tu cours, soit tu meures. Pour un temps, en tous cas.» Ca, ça la fait "rire", par contre. Sa main est ferme, déterminée. La Sainte ne plaisante pas. L'humour n'a jamais fait partie de ses rares qualités, contrairement à la pugnacité et à la froide détermination, froide comme les plaines de l'est et leurs toundras, résistante comme un clou de cercueil et surtout très alerte, depuis toujours, quant au fait que seuls les plus forts survivent... Elle n'a aucun, mais alors, aucun scrupule à rappeler, à la dure, ce fait à un démon, qu'il fasse partie de sa "famille" ou non. Le visage impassible, elle commence le décompte. « Cinq... Quatre...» Plus que trois secondes, et le silencieux crachera la première balle...

Autant Ileana peut être une pluie de feu incandescente, prête à châtier tous les infidèles à portée de vue, autant l'espionne qu'elle est devenue peut aussi être la force tranquille. En l'occurrence, elle ne cherche pas à impressionner Belzébuth. Elle n'en a pas besoin. Elle n'a aucun moyen d'impressionner un démon. Pour cela, il faudrait qu'elle ait une arme bien différente de celle de sa petite arme de poing, munie adéquatement d'un silencieux. Il faudrait qu'elle ait une arme capable de menacer non pas son intégrité physique, de laquelle il dispose à son gré, déguisement de chair uniquement là pour camoufler les pustules purulentes et son souffle de souffre infernal... Non, il faudrait qu'elle dispose d'une arme capable de menacer son âme, ou plutôt ce qui s'en approche le plus pour un démon. Son essence ? Son essence. Il faudrait une arme capable d'entamer de l'essence démoniaque, et, malheureusement, le seigneur n'a jamais jugé bon de lui mettre une telle arme entre les mains... Cela étant, contrairement à son interlocuteur, la sainte n'est pas prête à se laisser abattre.

Fidèle à sa parole, Olga écoute le messager infernal, tout en décomptant tranquillement.

« Zéro. » Pan, pan!. Les coups partent. Rapide, précis, le doigt de la femme est leste sur la gachette. La force de l'entraînement lui permet d'être à peine gênée par le recul. Les deux projectiles trouvent leur cible, à un rien d'intervalle, et pénètrent la chair, pour un, un oeil, et part se ficher profondément dans le cerveau, d'où démarre une hémorragie. L'autre, quant à lui, brise le crâne, juste entre les deux yeux, et vient ricocher contre le premier des projectiles. Mais Ileana n'en finit pas là. Il en faut plus pour tuer un démon. Machine de guerre impitoyable, la sainte, expéditive, assène un violent coup dans la gorge de l'enveloppe, qui s'écoule au sol. Emportée dans son élan, elle vient coincer la gorge du messager infernal sous sa botte, et écrase, comme cherchant à faire exploser son crâne en un sanglant feu d'artifices, et de cerveau en confettis. Et Pan, pan, pan, pan, pan, pan... Elle termine le travail. Les enquêteurs diront que c'était pour rendre la victime impossible à identifier. Ileana a tiré, au point de faire éclater toutes les dents, et la mâchoire, de l'enveloppe. On concluera que l'auteure était une acharnée, mais, sans mobile d'aucune sorte, et l'espionne sachant parfaitement comment disparaître et brouiller les pistes, jamais on ne remontera jusqu'à elle.

Est-ce qu'elle a des remords ? Non. C'est même plutôt le contraire. Elle se sent soulagée. Assez pour aller se griller une clope et s'offrir une coupe d'un bon champagne dans un bon resto. Belzébuth, que ça lui plaise ou non, sera bientôt de retour. Peut-être que cette fois, il lui laissera le temps de lui dire d'aller se faire foutre, lui et ses offres à la con. Jamais elle n'irait en Enfer, tant qu'elle servirait le Seigneur, et ne Lui prouvait-elle pas sa pleine et entière dévotion depuis toujours ? N'a-t-elle pas traversé les siècles en ne combattant que pour la gloire de Son nom ? Quand bien même, dans ses plans mystérieux, Dieu déciderait-il de l'envoyer en Enfer, Ileana n'hésiterait pas à se battre farouchement contre ces créatures démoniaques. Une éternité de souffrances ne l'angoisse plus depuis une éternité, il faut dire... S'acoquiner avec les démons, ce ne sera pas demain la veille !

La tête de l'enveloppe totalement détruite, et le sang, les morceaux de cortex et petits bouts brisés d'os commençant à être emportés par la pluie ruisselante, Ileana se redresse, range calmement son flingue, à l'abri, contre ses reins, et file sans demander son reste. Quelques badauds diront qu'ils ont vu une femme brune en imper et vêtements sombres prendre la fuite, mais les caméras ne la retrouveront jamais dans la masse cosmopolite de parisiens. Sans piste, sans indices, la police classera le dossier. Ce qu'Ileana retiendra de cette rencontre, c'est que les démons sont suffisamment aux abois pour s'abaisser à vouloir frayer avec elle... ça la fait marrer. Au moins, les prochains mois risquent d'être un peu plus intéressants que les deux derniers siècles !