Ethelred O'Mordha

« Le premier cri que j'ai poussé
C'était un cri de nouveau-né
Le jour où ma mère me mit bas
Nu, sanglant, entre des draps »


C’est à Claddagh, ancien village de pêcheurs devenu un quartier de Galway que je poussais mon premier cri, le dernier jour du mois de mai de l’année 1989. De ma mère je n’ai, durant de nombreuses années, gardé aucun souvenir et le jour où, par hasard, lorsque nous déménagions d’Irlande pour la France, je trouvais une photo d’elle que me revint en mémoire l’un des pires souvenirs qu’il soit pour un enfant : le jour où sa mère l’abandonna. Je me souviens qu’elle n’était pas venue me chercher à l’école comme de coutume et que c’est une voisine, maman d’une copine de l’époque, qui me ramena chez nous. Elle avait prétexté ne pas avoir vu l’heure pour cause d’examens à corriger urgemment, elle était professeur spécialisée en religions slaves anciennes à l’université nationale d’Irlande à Galway, alors qu’en réalité elle préparait ses valises. Je me souviens qu’elle m’a donné mon goûter, une enveloppe pour Papa qui était en rendez-vous professionnel et qu’elle m’avait dit quelque chose comme quoi je devais rester bien sage sur le canapé sans bouger pour qu’il soit fier de moi. Elle était brune, ça aussi je m’en souviens. Et plus jeune que Papa.

Papa était professeur, lui aussi, mais en littérature, spécialisé dans les mythologies scandinaves, et ma mère était son élève. Passionné par les livres il n’osa se lancer dans l’écriture que le jour où il apprit qu’il allait devenir père de famille. « Contes pour Ethelred » fut écrit pour moi. Papa n’avait pas vocation à être édité mais ma mère aima tellement ce qu’il avait écrit qu’elle envoya le manuscrit à plusieurs maisons d’édition et il fut publié avec le succès qu’on lui connait. Donc, il était en rendez-vous avec son éditeur lorsqu’elle quitta définitivement le domicile conjugal et ne rentra que tard le soir. Depuis le moment où il lut la lettre d’adieu que ma mère lui avait écrite, ses romans devinrent plus sombres. Elle avait fait du doux rêveur un cœur brisé, un être qui jamais ne se remettrait de ce chagrin d’amour.

De ma mère je tiens, selon mon père, mes capacités d’apprentissages. Si l’école m’ennuyait prodigieusement j’avais la chance d’avoir des notes excellentes et je pu ainsi sauter une classe ou deux, je ne me souviens plus très bien alors que normalement j’ai une mémoire plutôt bonne. De papa j’ai l’amour de la lecture et l’art de raconter des histoires. Mais quand Papa le fait pour faire rêver ses lectures moi  je mens pour… Je ne sais pas pourquoi je mens, en vérité. J’aime ça. Je crois… Ceci dit dans mon métier mentir est un atout.

Mon métier ? Je suis détective privée. Je l’avoue, votre honneur, j’ai été fortement influencée par mes lectures, mes héros étant Alice Roy (ou Nancy Drew en version originale), Sherlock Holmes et l’indétrônable Hercule Poirot. Cependant, et même si enfant mon père et moi jouions souvent aux détectives, jamais je ne me serais imaginée le devenir réellement. Et pourtant… Une fois mon baccalauréat en poche je me demandais quelle orientation prendre et parce que j’aime l’argent, les facilités et le luxe qu’il procure, je me tournais vers des études de droit parce que comme Fran et Sylvia Fine dans « Une nounou d’enfer » j’avais en tête l’image de l’avocat connaissant réussite, gloire et richesse que défendre des innocents avait aussi eu sa place dans l’équation. Je n’aime pas vraiment les injustices...et aussi parce que c’était là le métier de mon parrain. Mais ce n’était pas ce qu’il me fallait professionnellement pour me motiver à me lever tous les matins… Peu importe. Une fois que j’eus mon diplôme on peut dire que je fus légèrement pistonnée par mon Parrain puisqu’il m’embaucha dans son cabinet. Comme assistante afin d’apprendre le métier auprès d’un homme de métier. Oui bien sûr comme si mes études n’avaient servies à rien…Donc j’assistais le ténor des barreaux pour en apprendre plus quand survint LE cas qui allait changer ma vie (et propulser mon parrain au rang des avocats les plus en vue !). Un chanteur de renommée internationale avait choisir mon parrain pour avocat parce que non seulement il désirait divorcer de sa femme pour épouser une demoiselle plus jeune que lui (et qu’elle par la même occasion...) sans perdre la moitié de sa fortune et surtout pour blanchir sa réputation : la future répudiée (façon de parler) l’accusait de pédophilie ! Ni plus ni moins…

Ce fut un dossier compliqué et médiatique et terriblement passionnant. Je dus faire un tas de recherches pour mon parrain et parce que nous n’avions aucun lien du sang et que la plaignante ne me connaissait pas il me demanda de faire « comme dans tes romans » et de l’espionner afin de découvrir si elle ne cachait pas, ELLE, un sombre secret. Je crois que je ne me suis jamais autant amusée que lorsque je devais la filer, la prendre en photo à son insu etc. Je pus apporter à Parrain de précieuses informations qui aboutirent au blanchissement de son client. (Malheureusement pour lui sa carrière eut à en pâtir quelques temps mais tel n’est pas là le sujet…)

Quand l’affaire fut close il m’invita à dîner pour me remercier et me tendit une enveloppe que je regardais en fronçant les sourcils. Il avait réuni toutes les informations dont j’avais besoin pour suivre une formation et ouvrir mon agence de détective. (Hé oui on ne s’improvise pas Hercule Poirot sur un claquement de doigts). Les premières années j’apportais mon aide à son cabinet afin de trouver divers renseignements sur leurs différentes affaires, puis d’autres cabinets vinrent à faire appel à moi. Petit à petit le bouche-à-bouche fit son effet et je me fis une belle clientèle et une solide réputation. Laquelle m’apporta CE client spécial… C’était un lundi…



« Cher monsieur.
Suite à notre entretien au cours duquel vous m’avez informé des soupçons d’infidélité que vous nourrissez à l’égard de votre époux j’ai soumis ce dernier à une accrue surveillance et je suis en mesure, ce jour, de vous confirmer vos craintes. Vous trouverez ci-joint des reçus bancaires, photos de registres d’hôtel ainsi que des clichés des deux amants dans des moments intimes lorsque ces derniers profitaient de vos absences afin de se retrouver. Suivent un résumé détaillé de leurs faits et gestes ainsi que les dates et lieux de leurs rencontres. Je vous adjoins, comme convenu, la facture de nos services.
Veuillez agréez, monsieur, l’expression de mes sentiments les plus distingués.
Leilani Laroche. »

Je me trouvais en train de taper mes notes sur une banale affaire de tromperie lorsque la sonnerie de l’interphone vint interrompre le cheminement de mes pensées.  

-Madame Laroche vous avez un visiteur.

-Avait-il rendez-vous ?

-Non madame.

-Faites patienter, Adam. Je recevrai monsieur dès que j’aurais terminé.

-Bien madame.

Je fis attendre l’impromptu visiteur durant une dizaine de minutes, le temps de terminer la rédaction de mon rapport, de l’imprimer, de le signer et d’y apposer le tampon de l’agence. Lorsque Adam vint le conduire à mon bureau j’en profitais pour lui confier l’enveloppe.

-Vous ferez parvenir ceci à la référence X345BAJ. Merci Adam.

Je me levais de mon fauteuil afin de tendre la main à mon visiteur pour le saluer. Très « old school » ce dernier s'inclina avant de prendre place en face de moi, sur mon invitation. Je repris place tout en l’observant. Ce monsieur avait un physique… absolument passe-partout : le genre d’homme que l’on oublie juste après l’avoir vu, sur lequel on ne se retourne pas lorsqu’on le croise… La discrétion incarnée.

-Que puis-je pour vous, monsieur… ?

-Vous n’avez pas à savoir mon nom ni celui de la personne qui m’envoie mais si vous tenez absolument à m’en donner un vous pouvez utiliser celui de Smith.

-Très bien, monsieur Smith. J’en reviens donc à ma première question, que puis-je faire pour votre service ?

-Le client qui m’envoie souhaiterait vous engager pour enquêter sur une personne très en vue en ce moment. Vous avez la réputation de ne jamais renoncer, d’obtenir des résultats et d’être la discrétion incarnée et c’est exactement ce que mon client recherche. Vous n’aurez de contact avec nul autre que moi pour vos rapports qui seront exclusivement vocaux. Aucun document écrit ni signé ne devra exister
.
-Vous comprendrez, monsieur Smith, que je vais devoir fournir des factures pour la comptabilité, n’est-ce pas ?

-Nous y avons pensé et il se trouve qu’officiellement je vous aurais engagée pour arranger une histoire d’héritage familiale. Ainsi donc vous n’aurez aucun problème quant à l’aspect légal de l’affaire. Je dois cependant vous informer que si vous veniez à être surprise dans vos investigations vous vous retrouverez toute seule pour faire face aux conséquences. Comprenez bien que mon client est une personnalité publique dont la réputation ne peut ni ne doit être entachée. Avez-vous bien compris ?

-Tout à fait. Pourrais-je savoir qui je dois surveiller, pourquoi, quelles sont les preuves que désire votre client ?

-Connaissez-vous notre ministre de l’Intérieur, Edouard de Villiers ?

-Pas personnellement mais je vois de qui il s’agit, comme n’importe quelle personne s’intéressant un tant soit peu à son pays…  

Un fort bel homme, soit dit en passant, mais tel n’étant pas le sujet je ne m’aventurais certes pas à une remarque déplacée et non professionnelle.  

-Mon client nourrit à son égard méfiance et soupçons dont je ne suis pas autorisé à vous dévoiler la nature et désirerait tout savoir à propos de cet homme influent au sein de notre gouvernement. Votre tâche est simple et compliquée à la fois : découvrir tous les secrets, petits et grands, honteux et inavouable de cet homme secret.

Je restais pensive quelques instants, pesant les pour et les contre mentalement. L’homme dont il était question, Edouard de Villiers, m’était totalement indifférent et je n’avais sur lui et sa politique aucune idée clairement établie, aucun à priori…

-L’approcher risque d’être une tâche ardue et…

-Je me permets de vous couper. Il se trouve que monsieur de Villiers est actuellement à la recherche d’une assistante professionnelle, le dernier à son service ne le satisfaisant pas. J’ai pris la liberté de vous apporter de fausses références afin de faciliter votre embauche auprès de monsieur le ministre. Tout a d’ores et déjà été arrangé pour le cas où il ferait vérifier votre curriculum. Avec lui vous ne pourrez pas compter exclusivement sur votre...plastique avantageuse pour vous le mettre dans la poche.

Je crains de lui avoir lancé un regard méprisant quant à sa remarque sexiste et rétrograde mais m’abstins de tout commentaire. Il aborda par la suite l’aspect financier de l’affaire et me fis une proposition alléchante que seul une folle aurait déclinée.

-Un salaire à la hauteur des risques. Me dit-il avec un sourire tandis que je le regardais quelque peu surprise.

N’étant pas folle, et aimant l’argent, j’acceptai l’affaire qui avait, de plus, le don d’aiguiser ma curiosité.

-Une dernière chose. Être l’assistante d’un homme politique demande des qualités tel que l’ordre et la méthode, la ponctualité, s’occuper du courrier, avoir des connaissances juridiques, entre autres choses. Pensez-vous pouvoir faire illusion ?

Je répondis par l’affirmative et c’est ainsi que je fis parvenir mon curriculum vitae, basé sur des faits réels bien que légèrement tronqué (je n’allais quand même pas parler de l’agence !) pour une part et de l’autre étoffé par les fausses références fournies par monsieur Smith. Et c’est ainsi qu’après un entretien d’embauche qui fut un réel succès j’entrais au service de notre ministre de l’intérieur : Edouard de Villiers.

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