The Divide [Flashback - Terminé]

Taranis avait été le premier à mettre pied dans la tente, harassé et épuisé par ces combats tantôt longs, tantôt violents. La défaite des siens et la victoire de l’ennemi amenuisaient considérablement sa propre puissance, comme celle du panthéon, l’amenant à craindre le pire. Si lui, le Dieu du Tonnerre, ne pouvait plus commander à cet élément, que devenait-il ? Une question qui le taraudait à cet instant même, après qu’il a vu la défaite de leur Champion. Il se rendait aux Romains …

Il tourne à peine la tête lorsqu’il sent l’essence de son frère Teutatès, au loin. Il esquisse à peine un mouvement, lorsqu’il sent la main de son autre frère, Esus, sur son épaule. Il les laisse parler, et se positionner vis-à-vis du futur de leur panthéon. Un silence bien lourd tombe, nullement brisé par le frère qui n’avait exprimé aucun avis sur la situation.

La divinité colérique, vaniteuse, combattive et bien fière maintenait cette grève de la parole durant une bonne minute. On pourrait croire qu’il était enfin résigné, qu’il cherchait ses mots pour quelques paroles plein de sagesse ou qu’il avait appris à se maîtriser. Que nenni ! Il était question du Tonnerre et de l’Orage : il frappe subitement, et brutalement.

- L’un se fait une Romaine, et l’autre veut faire la paix avec les Romains, se moqua-t-il ouvertement des deux.

Certes, cette divinité éclatante n’avait pas la patte blanche et avait batifolé avec assez de femmes de tous panthéons et de toute nature. Pour autant, il n’avait jamais manqué à l’appel des siens, contrairement à leur Dieu-Père.

- Le choix est donc de rassembler des bourses-molles et des lâches pour un dernier combat avant notre fin, ou de négocier un traité humiliant pour survivre misérablement …

L’entente avec un autre panthéon supposait, potentiellement, des fusions et des disparations consentis des uns et des autres. La Foi des Hommes acceptait peu de reconnaître deux panthéons distincts sans chercher à dissoudre ou à éliminer les « doublons », ou les entités trop complexes ou trop incompréhensibles.

- Je préfère qu’on crève sur un champ de batailles, finit-il par dire.

Là où Teutatès protégeait la Tribu, et qu’Esus s’assurait de sa prospérité, Taranis était « l’éphémère » qui ne jurait que par des opérations implacables, violentes et rapides. Une intrépidité qui avait déjà payé par le passé par des victoires inattendues et décisives, mais également coûté en quelques cuisantes défaites. Aujourd’hui, il semblerait que sa proposition tenait plus du suicide que d’un possible issu : il le savait, et il le reconnaissait à demi-mot.

- Unissons le panthéon, et battons-nous pour de bon !

« Unir », voilà un beau mot ! Depuis le départ inattendu et impromptu du Dieu-Père, puis de son retour tout aussi inespéré et dans des circonstances assimilées à la trahison, l’Unité avait été malmené entre ceux qui soutenaient le Dieu-Père, ceux qui reconnaissaient la sagesse d’Esus et ceux qui étaient animés par la même rage combattive que Taranis. La Trinité qui, jadis, faisait la force des siens était aujourd’hui la cause même de sa déchéance.

- Il est important que l’un de nous pense encore à l’honneur de la tribu, répondit-il à la provocation gratuite d’Esus.

Taranis avait toujours été l’élément perturbateur de la fratrie. Il n’était pas rare qu’il soit à l’origine de bien des disputes entre frères, par ses colères, par ses vanités ou par sa fierté. Cependant, elles étaient toutes à l’image de l’élément qu’il représentait : violente et éclatante, mais brève ! La sagesse de Teutatès ou l’habilité d’Esus dans le domaine du compromis leur avaient toujours permis de calmer ce frère turbulent, et d’en tirer le meilleur. Le blond n’en restait pas moins une divinité loyale, combattive et dont les idées pouvaient être des plus brillantes, voire décisives pour gagner des batailles. Ainsi, s’il était assez commun que les deux frères se montrent bien violents dans leur échange, tantôt par la parole, tantôt par les gestes, aujourd’hui différait grandement. Taranis n’élevait pas la voix quand il gratifiait son frère de ces quelques paroles, preuve qu’il pensait sincèrement ce qu’il disait et qu’il n’agissait pas sous l’impulsion d’une colère mal maîtrisée ou d’un excès de fierté stupide.

- Crois-tu sincèrement que les Romains vont se montrer miséricordieux et agréables avec notre peuple, si nous capitulons et si nous les abandonnons ?

Cette question était adressée à Esus. Il n’était nullement question de critiquer les Romains et d’encenser le caractère de leur gens. La vie était ainsi faite, depuis la nuit des temps : le vainqueur avait tous les droits sur le perdant, le premier dépouillant le second de tout – ses richesses, son honneur, ses terres, ses femmes, ses croyances, ses us et ses coutumes. Et le second pouvait courber l’échine pour de nombreuses générations à venir, ou ronger son frein jusqu’à s’élever contre cet ancien envahisseur et prendre sa revanche.

- Et je suis bien désolé de te le dire, mais il n’y a plus grand-chose sur ton domaine : nos forces sont là, et c’est tout ce que nous avons ! Si tu veux une stratégie, c’est maintenant, et c’est avec ces hommes-là. Ou alors jamais.

Taranis n’énonçait aucune solution, et il le savait. Ce n’était pas question d’une mauvaise foi, loin de là, mais il n’y avait tout bonnement pas d’autres issus. Il avait tourné et retourné la situation dans tous les sens. Les trois frères n’avaient plus que deux choix, à ses yeux : soit la mort et la destruction, soit la soumission et l’humiliation. Et le blond avait déjà fait son choix, qu’importe l’avis de Teutatès et d’Esus. Rien ni personne, ni aucune force, ne pouvait le faire flancher.

- Faites ce que vous voulez, mais je ne m’agenouillerai pas, annonça-t-il finalement. Je préfère crever sur un champ de bataille, que sur des pourparlers.

Mourir n’avait jamais effrayé le Dieu du Tonnerre, que ce soit cette Mort où l’on finit dans l’Ether pour y revenir un peu plus tard, ou cette Mort où plus aucun fidèle ne croyait en vous. Il n’avait pas été créé pour avoir peur, mais pour faire peur. Il n’avait pas été pensé pour protéger et préserver, mais pour dévaster et annoncer l’horreur. En somme, il n’était pas comme ses deux autres frères, l’un protégeant la Tribu, et l’autre assurant sa prospérité.

Taranis sentait que la discussion allait à son désavantage. Esus et Teutatès avaient un terrain d’entente, plus ou moins, motivés tous deux par leurs intérêts pour l’avenir de la Tribu. Il n’était ni surpris, ni jaloux. Ce n’était ni la première fois, et ce ne sera nullement la dernière fois. Cette dynamique avait toujours été ainsi, principalement due à leur fonction même. Là où Le Dieu-Père protège la Tribu et le Dieu de la Guerre, de la Construction et du Commerce s’assure de la prospérité de cette dernière, le Dieu de la Foudre frappe l’ennemi en tout temps et en tout lieu et sans un regard en arrière. Ses frères étaient ses garde-fous, pour éviter qu’il ne décime de valeureux guerriers dans quelques stratégies foireuses.

- J’ai compris. D’abord, on va aller se terrer comme des petits lapins le temps de trouver quelques copains. Puis, on va sûrement aller baisser nos guenilles devant ces Romains pour nous faire baiser, répondit-il, avec sarcasme. J’vois ce que vous voulez faire. Mais votre fonction n’est pas la mienne. Si on ne frappe pas maintenant, et qu’on perd du temps à rassembler des gens qui n’ont jamais vu plus loin que leur bout d’île, on aura plus aucune chance. On va juste trainer comme des crevards, jusqu’à ce que notre peuple n’existe plus ou qu’il n’y a plus une âme pour prier.

Il se tait, un court instant, pour toiser ses deux frères. Il comprend qu’il parle dans le vide, et que la majorité s’était rangée à l’idée qu’il méprisait. Il soupire, et passe sa grande main sur son visage. Aussitôt il réfléchit à cet avenir sombre qui se profilait, cherchant quelques opportunités cachées à saisir ou à créer pour que celui-ci soit un brin plus radieux.

- Bien. Vous avez pris votre décision. Et je ne peux pas me jeter dans cette bataille, sans vous, concéda-t-il avec un certain dégoût et déception.Par contre, lorsque nous aurons réuni nos dernières forces, je mène la charge. Ni vous, ni la Morrigan, ni Dagma, ni personne d’autre ne pourrait m’ôter ce plaisir, et ce rôle. Je cède déjà à vos conneries, je refuse de plier davantage ! Autrement, je préfèrerai suivre mes bêtises, que les vôtres.  

S’il était bien difficile d’arracher quelques concessions à la Foudre ou de le forcer à se plier à quelques compromis, la tâche n’était pas pour autant impossible pour celui ou celle qui savait ses forces et ses faiblesses. La divinité était vaniteuse, entre autres : promettez-lui une place dans la lumière, qu’importe qu’il soit question de succès ou de sacrifice, et elle pourrait largement se montrer coopérative avec vous. Si jamais son interlocuteur n’est pas assez averti de ce trait de caractère, le Dieu n’hésite pas à le rappeler – et à chercher à avoir cette place tout en haut d’un quelconque podium imaginaire.

Les dés étaient jetés et les propositions étaient faites.  
Est-ce que la Foudre allait rester, parmi les siens ? A l’inverse, allait-il se jeter dans une dernière bataille perdue ? Son avenir allait dépendre, assurément, d’Esus et de Teutatès.