From Dusk till Dawn [Intrigue I - Terminé]

Midnight, c'est bien connu, ne fait jamais l'ouverture de ses clubs. Ça l'ennuie. Les débuts de soirée, pour elle, sont rarement intéressant. La Nuit est tombée, mais pas encore à son zénith, elle est timide. L'impunité qui l'accompagne généralement, ne s'est pas encore montrée, tenue en respect par les derniers rayons du soleil captés par les peaux humaines. Alors, si elle est présente, dans son club, elle ne se montre pas, retranchée qu'elle est plutôt dans l'appartement qui surplombe le club. En cas de souci ingérable par les valkyries ou Zhu Li, son personnel la sait présente, prêtre à prendre les choses en main. Les hommes et les femmes travaillant pour elle n'iraient pas jusqu'à dire que sa présence les rassure, puisqu'elle aurait tendance à les impressionner plus que le contraire, mais parviennent plus ou moins à la voir comme une bouée de sauvetage. Les malheureux...

Souvent, à défaut d'apprécier la compagnie au lever de la lune, Midnight s'installe sur son balcon et contemple la nuit parisienne, qui s'étend sous elle, comme à ses pieds. Parfois elle lit. Parfois elle pense. Parfois elle joue de la musique. Parfois elle fait autre chose, et parfois elle ne fait rien. Ce soir, installée dans une chaise longue, elle fume en regardant les étoiles, qui disparaissent à intervalle régulier dans le nuage de nicotine qu'elle exhale de temps à autres. C'est qu'elle a toujours aimé les voir, là-haut. Elle a toujours aimé se perdre parmi elles. Les humains ont beau en avoir percé les secrets, elles n'en ont rien perdu de leur superbe aux yeux de la Nuit. Elle se souvient, Nyx, avoir aimé s'en vêtir en prenant forme, en s'incarnant. Plus d'une fois, la déesse s'est demandé si ça lui aurait plu d'incarner un autre principe que la Nuit... La réponse a toujours été non. Même si les autres déités ont eu des cultes en propre, elle ne les a jamais jalousés. Quant à savoir si c'est une conséquence de son caractère, ou si son caractère en découle... Autant déterminer lequel de l’œuf ou de la poule était là en premier.

Retranchée dans ses pensées, Nyx finit par revenir sur terre en sentant l'approche d'une autre divinité. Si elle ne s'en alarme pas, elle se redresse tout de même, s'étire, ce qui la délasse après être restée longtemps dans la même position, et observe, au pied du balcon, tentant de reconnaître l'âme millénaire qui lui rend service, au milieu des indigents... Peine perdue. Il y a trop de monde. C'est à peine si elle perçoit une silhouette féminine à la chevelure prétendument sombre sortir d'un taxi et snober la file d'attente des indigents, pour se présenter directement au videur. Ce comportement fait sourire Midnight. Elle adore donner des passe-droits à ses pairs qu'elle apprécie... Une femme, donc. Ce ne peut être Sthéno. La pourrait, si elle le voulait, espionner via les ombres... Mais non. Elle préfère, après avoir rajusté sa robe longue à bustier, ample à partir de la taille mais ouverte sur la jambe et agrémentée d'un sur-haut transparent aux élégantes bande de velours noir, et rajusté son maquillage, descendre et accueillir son invitée comme il se doit.

La voilà qui, après avoir pris quelques secondes pour observer l'ensemble de son club via le balcon du carré V.I.P. à l'étage, descend les marches, repérant finalement Pereplut, parfaitement assortie à l'élégance des lieux, voire même, sublimée par eux, comme une perle au milieu d'un écrin de velours rouge. Sourire à ses lèvres charnues peintes d'un rouge lie de vin, Nyx se présente à la déesse, lui prend gentiment les mains et s'approche pour poser aussi brièvement que délicatement sa joue sur la sienne. « Bonsoir Pereplut. C'est un plaisir de t'accueillir, comme toujours*. » La Nuit, devenue polyglotte à travers les siècles, aime à converser dans la langue natale de ses vis-à-vis, quand elle la connaît. Ça lui permet de pratiquer, d'une part, et d'autre part, elle l'espère, ça les met à l'aise. Cela étant... Un petit rire d'excuses lui échappe. « Mon russe a bien besoin d'être travaillé. J'espère que ça ne t'incommode pas ?* » Elle demande, avant de laisser son regard abandonner un instant son invitée pour le barman. « Les consommations de la dame sont pour nous. » Elle lui glisse, discrètement, entre deux clients, avant d'en revenir à Pereplut. « Tu es magnifique.* » Elle flatte, sans arrière-pensée, la déesse slave après avoir apprécié sa tenue dans son ensemble. Nyx n'a pas été capable de se faire des milliers d'amies durant ses siècles d'existence. Les ennemis ont fleuri bien d'avantage sur son parcours, raison pour laquelle le peut qu'elle puisse avoir, elle les soigne.

[Hj : * : en russe]

La rivalité féminine, inscrite génétiquement dans chacune de ses représentantes, voudrait que Pereplut et Nyx soient rivales. Leur qualité de déesses, également, malgré des domaines différents. Après tout, dans toutes les religions, les déesses se sont crêpé le chignon entre elles. L’histoire la plus connue de toutes est sans doute celle de la guerre de Troie, savamment orchestrée d’une main de maître par la fille chérie de la Nuit, Eris, la Discorde. Il n’avait pas fallu grand-chose. Quelques mots seulement. La pomme d’or n’était que la messagère. Ce n’est pas pour elle qu’Aphrodite, Athéna et Héra s’étaient écharpées, mais pour ce qu’elle représentait, à savoir, un trophée, la reconnaissance publique de la supériorité de la beauté de l’une sur l’autre. Le fait est que, dénuées de tout artifice, de toute aura, les déesses ne sont pas différentes des humaines. Elles ont, peut-être, des formes plus avenantes, une symétrie qui les rend mathématiquement plus parfaites, mais ça ne suffit pas à satisfaire le subjectif. Tous les hommes et toutes les femmes ne sont pas attirés par les mêmes traits. Aussi, dépouillée de sa ceinture et même si sa beauté ne saurait être niée, il serait envisageable, probable, même, qu’un mortel puisse préférer à la déesse de l’amour elle-même l’une de ses pairs. La discrète Perséphone peut-être, ou la mystérieuse Hécate ? Artémis la vierge chasseresse, peut-être ? Quoiqu’il en soit, il est toujours des plus agréable de recevoir une comparse dont la relation est dénuée de la moindre rivalité, donc forte d’une certaine affection, presque sororale. Nyx est curieuse de découvrir Pereplut, petit à petit, à travers les petits cailloux blancs qu’elle lui laisse, en prenant son temps. La Nuit n’est pas pressée. Elle sait qu’elle ne disparaîtra pas demain, et elle se renseigne assez à propos des pays des Balkans pour savoir que la paganisme se veut revenir en force. De ce fait, sa comparse peut, à priori, elle aussi compter sur de beaux jours devant elle. Alors elles peuvent prendre leur temps, s’apprivoiser à leur aise… Puisque, même si leurs puissances sont aujourd’hui disparates, Nyx n’en est pas pour le moins condescendante avec la slave, dont elle est curieuse de la culture. Depuis toujours contemplative, la Nuit n’a jamais cherché à détruire ni à assimiler quoi ou qui que ce soit. Ni les Celtes, malgré leurs certitudes, ni aucun autre. Le monde est riche, et eux, les Dieux, ne sont que les incarnations de cette richesse. En esthète et amoureuse de l’histoire qu’elle est, elle ne peut que déplorer l’amoindrissement de celle-ci par la disparition de l’un de ses incarnats.

Avec lenteur, Midnight hoche la tête en signe d’assentiment aux questions de la déesse russe concernant ses affaires. « Tout est au mieux dans le meilleur des mondes, pour l’instant. L’attaque sur le club n’a fait qu’augmenter sa popularité… La file d’attente, à l’extérieur, se fait de plus en plus longue, au point qu’hier, les forces de l’ordre ont dû intervenir… Un attroupement gênait la circulation… » Elle grimace discrètement. « Toujours est-il que tous ces mortels ne sont pas intéressants à intégrer au club. Il n’y a que les plus fervents qui le soient… » Et ce sont généralement les plus excentriques, bien qu’ils tâchent, crédo du club oblige, de rendre cette excentricité discrète. Bouton de manchettes, cravate ou boucle de ceinture au motif arachnéen pour les hommes, par exemple, bijoux ou tatouages, plus ou moins discrets, pour les femmes. S’il arrivait que certains sceptiques passent la barrière de physionomistes, ils repartaient avec suffisamment de questions pour que leur pragmatisme flanche et les ouvre à des questions plus philosophiques sur la largesse de la vie sur cette planète.

A nouveau, Nyx hoche la tête à l’évocation d’Odin, et se tourne vers Pereplut lorsque celle-ci lui confie son inquiétude. « Je comprends. » Commence la Nuit. Pour autant, blasée comme elle est, elle ne peut dire partager ses craintes. En vérité, elle se demande comment ça ne peut arriver que maintenant, pourquoi ça n’est pas arrivé plus tôt, et compte-tenu de la puissance et de l’ancienneté de de ces artefacts, qu’ils n’aient pas fait de victimes parmi eux plus tôt. « Moi ce qui m’étonne, c’est que la première victime soit Odin… » Le vieux Voyageur, Père de Tout, reculé dans son manoir au milieu de ses livres… D’autres dieux représentaient bien plus de danger que lui. « Si tu veux mon avis, le meilleur moyen de passer entre les mailles du filet est de se tenir aussi loin possible de Technologie et d’Internet… Tout passe par eux, maintenant. S’ils ne peuvent pas recouper d’incohérences dans ton parcours, ou ne trouve pas de photo de toi datée d’il y a vingt ou trente ans sans une ride, les chances qu’ils te découvrent sont très minces… » Elle lui sourit, se voulant rassurante, consciente qu’elle-même… Avait fait tout le contraire. Peut-être qu’Odin serait mort plus tôt, elle y aurait réfléchi à deux fois… Mais ce qui est fait est fait. Elle a la notoriété à présent, et compte en profiter le plus possible, en espérant avoir le temps de feindre la mort de son véhicule avant qu’un déicide ne s’en prenne à elle…

La tête de la Nuit s’incline à l’entente de l’amertume à peine contenue de ses paroles. Elle n’est pas sans savoir que les panthéons avaient toujours été plus ou moins rivaux les uns avec les autres, mais elle n’aurait jamais imaginé que Pereplut puisse avoir un quelconque intérêt dans ces jeux ineptes dans la grande marche du temps… Amicale, elle vient prendre la main de son amie dans la sienne et la serre. « Ne sois pas amère, ma sœur… En définitive, nous emprunterons tous le même chemin… » Commentaire nihiliste ? Plutôt. Facile à dire pour qui dont le panthéon était toujours étudié en classe dans tous les pays occidentaux, face à une consoeur dont les quelques rares derniers croyants des pays des Balkans faisaient encore les frais de l’intolérance des chrétiens… Pour autant, il n’y a pas une once d’hypocrisie chez Nyx, lorsqu’elle s’exprime. Elle est profondément convaincue que leur destin à tous est de disparaître, que ce soit dans mille ou dix milles ans… Aucun d’eux ne vaut mieux qu’un autre. Ils connaîtront tous la même fin, retourneront à la conscience collective lors de leur dernière mort, cette mort de laquelle rien ne saura les ramener, et ils se fondront en un tout indistinct… Ou alors, comme Odin, ils mourront dans leur unicité. A bien y réfléchir, Nyx n’est pas certaine de quelle fin est plus tragique que l’autre…

Aux propos concernant la technologie et ses réseaux sociaux, aussi paradoxal que cela puisse paraître, Midnight acquiesce. « Tu as bien raison… Ces choses débilitent les gens, c’est effrayant… » Et pourtant, pour elle, des petites mains s’agitent pour bombarder le net de photos, inonder son compte instagram, ou encore s’assurer d’être toujours en vogue avec un snapchat ou un tiktok. « Et qui plus est, ils se démultiplient comme des rats… C’est une horreur. » Elle grimace discrètement, bien contente que personne, à sa connaissance, si ce n’est Pereplut, ne puisse comprendre le contenu de leur conversation. Après une brève seconde de silence, elle reprend. « C’est étrange, non ? De travailler. » En ce qui la concerne, on le lui aurait dit il y a un millénaire encore, elle aurait ri à gorge déployée. Même sans l’extraordinaire régénération de corps conférée par sa nature divine, Nyx n’aurait jamais arboré des mains de travailleuse, s’étant toujours arrangée pour l’éviter. Mais maintenant… Elle a trouvé une parade, mais combien de temps cela durera-t-il ? Dix ? Vingt ans ? Trente maximum. On dira qu’elle a recourt au botox ou à la chirurgie, mais son passage sous les feux de la rampe aura une fin, quoiqu’il arrive… A moins que les mortels ne trouvent le secret de la fontaine de jouvence entre temps.

La question que lui pose ensuite sa comparse la prend de court. Tous les autres dieux ont bien vu qu’elle était parvenue à faire son trou, suffisamment pour reprendre de la puissance dans ce monde sans gêne, et beaucoup avaient déduit qu’elle en était heureuse… Mais personne ne lui avait encore posé la question de façon aussi frontale que Pereplut ce soir. Si elle n’en montre rien, Nyx est émue. Touchée par la question, à laquelle elle finit par répondre. « Non. J’exècre ce que la terre et les hommes sont devenus. » Le jugement est implacable, sans nuance, et suinte le mépris, l’amertume… Le blase. Son expression, relativement neutre pour qui ne la connaît pas, mais réellement chamboulée pour qui a l’habitude de la voir, ne se déride qu’avec la boutade de sa consœur. « Si tu veux de la guerre, le Moyen-Orient t’ouvre les bras… » Elle plaisante à son tour. « Et les orgies, tu peux les trouver ici. » Mince sourire sur les lèvres charnues de la déesse, avant qu’elle ne soupire. « Non, Pereplut, je ne regrette pas le temps où nous étions vénérés « en masse »… En masse, qu’est-ce que ça veut dire, aujourd’hui ? Quinze de nos croyants originels suffisaient à nous donner de la puissance quand cent païens d’aujourd’hui suffisent à peine à m’ôter une ride… Je ne regrette pas les rivalités frivoles des panthéons. Ce que je regrette la nature vierge, le silence de la Nuit, la suprématie des étoiles dans le ciel… Je regrette l’air pur et la liberté que nous avions… Le pouvoir est, certes, grisant, mais ça n’a jamais suffi à me combler… » Elle marque une légère pause. « En toute franchise, j’attends avec impatience l’implosion de ces sociétés et le retour forcé à un mode de vie plus rudimentaire… » Elle s’interrompt un instant, comme perdue dans ses pensées, avant de reprendre. « Tu sais… Notre presque-immortalité est déjà un cadeau très précieux. Sans croyants, nous sommes libres de nous définir tels que nous le souhaitons. Je n’oublie jamais que sans croyants, nous ne cessons pas forcément d’exister, mais il existe une toute petite fenêtre où nous pouvons nous permettre de n’exister que pour nous… Certains ont peur de cette liberté, de perdre le sens de la vie. En ce qui me concerne, je ne l’ai découvert qu’à ce moment-là. » Gentiment, elle sourit à son invitée. « Et toi ? Tu regrettes les milliers d’hommes qui scandaient ton nom avant de se jeter dans l’ivresse de la bataille ou du sexe ? » Nyx taquine sa vis-à-vis, lui donnant un très léger coup de coude.

Nyx comprend sans mal l’attrait que représente le travail, autant que son caractère incongru. Le monde avance, et si on ne veut pas rester sur le carreau, il faut avancer avec lui. Cela, la déesse l’a compris depuis fort longtemps. C’est ce qui l’a poussée à apprendre toutes les langues à travers les âges, à tenter de découvrir, sinon comprendre, les différentes cultures que porte ou a porté la terre. La Nuit a toujours été naturellement curieuse, une discrète observatrice. Elle a toujours aimé se mêler à la masse, pour mieux la comprendre, et pouvoir la regarder, de loin. L’appel des nouvelles choses, donc, n’est pas un secret pour elle. Alors elle fait « oui » de la tête, pour marquer son accord avec Pereplut, l’assurer, en silence, qu’elle l’entend et partage son point de vue, avant d’incliner la tête sur le côté à sa question. Doit-elle lui dire ? Doit-elle partager cette idée qui germe dans sa tête, au risque de passer pour une folle aux yeux de son amie ? Elle n’a pas vraiment le temps de prendre sa décision, avant que Pereplut n’enchaîne, partageant ses regrets avec la Nuit. Nuit qui ne peut qu’abonder dans son sens, même si les raisons divergent. Ayant toujours été une figure plus crainte que révérée, une déesse associée à énormément de rites mais avec finalement peu de célébrations personnelles, priée dans les moments où les âmes étaient le plus vulnérables, Nyx ne peut regretter ce qu’elle n’a pas connu, à savoir, les extravagantes démonstrations de foi. Il faut dire, il n’y eut guère que les sorcières pour célébrer la Nuit pour elle-même… Le reste du temps, l’espoir placé en elle par les hommes était pudique, intense comme une étoile, mais gardé dans le secret de leur cœur… Raison pour laquelle la déesse est elle-même si secrète, si pudique. « Nous sommes tous les mêmes, Pereplut… » Elle laisse tomber, comme un constat froid, dénué de jugement de valeur. « Polythéistes ou Monothéistes. Anciens dieux, nouveaux dieux. Nous ne sommes que des reflets de l’âme humaine, et beaucoup d’âmes désirent le pouvoir… Nous, moins que les autres encore puisque nous sommes façonnées par elles, ne pouvons nous élever contre ça. » Indifférente, elle hausse les épaules. C’est bien cette soif inextinguible de recouvrer sa puissance qui lui vaut sa place actuelle, alors qu’elle l’ennuie et l’irrite un peu plus à chaque jour qui passe. Nyx n’est-elle pas la meilleure contradiction divine qui soi ? Ayant manœuvré pour retrouver une place de premier plan dans la vie des mortels, place qui jure horriblement avec les aspirations de paix et de quiétude qu’ils ont choisi pour elle il y a de cela des millénaires…

« Quel dommage… » Répond Nyx, avec un sourire, à l’annonce d’une Pereplut plus distante avec les orgies. N’importe, elle comprend. Les idées des hommes ont changé. Elle non plus n’est plus friande de ce genre de soirées, même si elle en organise encore, de temps en temps, pour ses clients. La catharsis créé ce besoin, chez certains. Elle s’efforce de répondre au mieux aux demandes, afin de renforcer son emprise sur ceux qui passent les portes de ses clubs. A nouveau, elle incline la tête, Pereplut abordant le sujet du moyen-âge. Pour elle, il n’a pas été si terrible. Elle l’a passé à arpenter oliveraies grecques, terres macédoniennes, égyptiennes, même, et italiennes. Le sud lui a beaucoup plu. Il y faisait bon vivre. Pour rien au monde elle n’aurait mis le pied en Espagne, ou en France. Elle, qui n’a rien d’une divinité guerrière, n’avait rien à y faire. Cela étant, elle ne contredit pas Pereplut, dont elle ne peut qu’imaginer l’ennui, effectivement, compte-tenu de ses attributions. Sans surprise, il aura fallu attendre le renouveau des passions avec l’époque qui porte si bien son nom, la Renaissance, pour que l’austérité se fasse moins pesante.

Respectueuse des souvenirs de son invité, Midnight laisse durer le silence, qui prend ses aises… Jusqu’à ce que la déesse scandinave ne la rejoigne, faisant claquer, à la suite de ses mots, la langue de sa comparse contre son palais, d’agacement. « Ne m’en parle pas… Heureusement que j’ai des contacts faussaires et autres, qu’il existe toujours un moyen ou l’autre de passer sous les radars, mais ce sont des procédures extrêmement contraignantes, qui ont malheureusement leurs limites… Bientôt, nous n’aurons plus d’autre choix que de faire mourir nos corps pour renaître dans de nouveaux qui ont déjà des identités… Mais l’option me dérange… Je suis ainsi depuis ma création. Je ne sais pas si je parviendrai à changer de visage… Dis-moi, ma sœur, as-tu déjà été contrainte de changer, toi ? » Elle demande, curieuse, sans se rendre compte du manque de tact de sa question.

En silence, et sans jugement aucun, Nyx écoute les confidences de Pereplut concernant sa première apparence, puis la seconde. Sans le souci que ça soit approprié ou pas, un petit sourire tendre étire ses lèvres, à l’entente du respect et de la gratitude qui transpirent à travers les mots de la déesse concernant l’enveloppe mortelle qui l’a accueillie. L’histoire est jolie… Mais Nyx n’a pas la moindre envie de la vivre. Elle n’a pas la moindre envie d’abandonner son corps, ou que ce dernier soit détruit. Elle n’a pas envie de se chercher un nouveau véhicule, le corps d’une mortelle qui lui conviendrait, puisque le sien lui convient parfaitement. Pour autant, elle n’a aucune peine à se projeter détruire elle-même son enveloppe si tel n’avait pas été le cas. Après tout, pourquoi accepter une apparence qui nous déplaît lorsqu’on a le choix ? Qui plus est, à l’entendre, pour Pereplut, c’était du donnant donnant… « Je suis contente que vous vous soyez trouvées. » Elle répond, donc, à sa vis-à-vis avec le sourire. « Et tu es ravissante. » De pied en cape, la dame est particulièrement élégante, et de bon goût, ce que Nyx ne peut qu’apprécier à sa juste valeur, en particulier en tenant un établissement comme la Lune Noire. « Trinquons à ton absence de regrets dans ce cas ! » Elle lance, enjouée, levant son verre avant de venir le faire tinter contre celui de la déesse slave. Si Nyx a pour doctrine de ne pas interférer dans les affaires des autres, elle n’est pas en reste en matière de soutien, ayant même tendance à en offrir bien plus qu’elle n’en reçoit.

Si la proposition de Pereplut l’amuse, elle la prend aussi de court et la laisse muette, dans un premier temps, pour la simple et bonne raison que Nyx ignore en quelle mesure la déesse est sérieuse ou non. Alors, pour en avoir une idée, elle propose, sur le ton désinvolte qui la caractérise. « Ou alors tu pourrais t’associer à moi ? Nous pourrions organiser des choses ensemble ici ? » L’idée ne lui déplairait pas. Certes, la Nuit a mis des décennies à élaborer son retour, mais elle n’a jamais eu l’ambition d’évincer qui que ce soit. Elle a agit dans son propre intérêt, sans se soucier des autres. Après tout, quand est-ce que les autres se sont-ils jamais souciés de ses intérêts ? Sthéno mise à part, elle avait des employés, avec lesquels elle échangeait parfois, mais elle s’était construite seule, et avait gracieusement associé d’autres personnes à son succès. Ça la changerait, pour une fois, un projet commun avec une égale… Non pas qu’elle considère la gorgone comme une inférieure, loin de là, mais l’artiste est encore quelque peu frileuse à l’idée d’une collaboration, ce qu’elle respecte. En attendant, Nyx apprécierait d’explorer d’autres horizons, un horizon où elle ne serait pas nécessairement seule, où on ne la haïrait pas forcément. Alors pourquoi pas ? « J’ai déjà des clubs dans ces deux villes, si tu les préfères à Paris. » Elle glisse, des fois que cela puisse influencer la décision de Pereplut.

La question qui suit en revanche, plus sérieuse, mais pas tant que ça pour Nyx, lui fait incliner la tête sur le côté. « Oui. Ce qu’il était, en tous cas. L’urbanisme dont il a été la victime rend la séparation moins douloureuse… Et l’argent m’a permis d’acquérir un petit pied à terre. Je peux y retourner à mon gré, grâce à mes dons, mais… Ce n’est pas pareil. » Baissant brièvement ses yeux étoilés, quand elle les redresse, elle se veut douce et compatissante. « Et toi ? L’Est te manque-t-il ? » Elle se retient, à la dernière minute, de mentionner les steppes infinies de la Russie, les forêts roumaines ou encore le folklore serbe… Tellement de couleurs, de traditions, qui ont tendance à horriblement se perdre en ce XXIe siècle européen, plein d’une écœurante modernité et d’un progrès qui arrache chaque jour un peu plus de sens à la vie des mortels…

La soirée suit son cours, plutôt calme. Ceux qui souhaitent s’enjailler, dans ce club, peuvent le faire sans risquer quoique ce soit, dès qu’ils ne représentent pas un risque pour les autres. Dans ce but, ce but de pouvoir garantir à chacun une soirée inoubliable sans mauvaise expérience, biais par lequel Nyx avait déjà regagné une partie de sa puissance et comptait bien récupérer le reste, elle dépense des fortunes en physionomistes et est prête à laisser le club moins peuplé que ce qu’il ne pourrait, uniquement pour éviter les fauteurs de troubles. Une grande force de ce club, qui pouvait regrouper dans une alcôve des nerds scientifiques, et dans l’autre, des fils et filles à papa en pleine rébellion, et à la fois intimidés de plonger pour la première fois « dans le grand monde » sans sous le soutien de maman. A la Lune Noire, des dizaines de profiles différents se croisent, réunis pour différentes choses, que ça soit la hype née sur les réseaux sociaux ou une sensation de mysticisme qui imprégnait les murs, toujours est-il que l’hôtesse mettait toujours un point d’honneur à ce que ses invités repartent comblés.

Et elle, qu’est-ce qui la comble ? Tout dépend du moment. La sensualité a toujours fait partie intégrante de sa vie, et, en aspect quelque peu négligé ces derniers temps, il a tendance à lui faire du pied… Mais au-delà de ça, la compagnie de Luka, en plus d’être rare, est particulièrement stimulante pour la déesse qui comprend, de par leurs natures semblables, les maux de Nyx, et même plus que cela, les partage. La promesse de la slave réchauffe donc sensiblement le cœur froid de la Nuit, qui se permet un sourire en coin, ravie de s’imaginer, un jour, collaborer avec Pereplut. Presque aussi vite qu’il est apparu cependant, le sourire de l’obscure déesse disparaît. Leur collaboration et sa nature dépendrait de la tournure que prendront les événements. Les Dieux devront-ils se révéler, ou non ? Midnight garde sa langue pour elle sur ce sujet, et se contente de hocher la tête en signe d’assentiment pour appuyer les paroles de sa compagne concernant les temps changeants. « Je vois ce que tu veux dire… Autant de signes annonciateurs d’une destruction prochaine… » Elle souffle, se perdant un petit instant dans ses pensées.

Quand Nyx relève les yeux, c’est pour mieux voir ceux de Luka dévisager… Quelqu’un. Pudique, la grecque ne se tourne pas, ne reconnaissant que trop bien l’expression de son amie. Elle sourit largement. « Lance-toi… Je vous offre les consommations de la soirée… » Elle la gratifie d’un clin d’œil, pose sa main sur son épaule, et abandonne son amie pour qu’elle puisse profiter de sa charmante et stimulante compagnie. Peut-être qu’elle-même aurait la chance, plus tard dans la soirée, de trouver un tiers pour la raccompagner…

[Hj : Hey ! ^^ Je te propose qu’on en reste là pour embrayer directement avec le sujet avec Amara ? ]