Epona - Ride with me

Le manteau de la nuit avait enveloppé Paris depuis quelques heures maintenant. Pourtant, la ville Lumières n'avait jamais aussi bien porté son nom. La fée électricité combinée à une crainte ancestrale de l'humain face à la nuit avaient permis à la capitale de se parer d'une multitudes de réverbères qui rendaient presque la notion de « nuit » caduque. On se serait presque crû à Las Vegas, les néons et casinos en moins. Une vraie plaie quand on essayait de passer inaperçu.

Une silhouette avançait dans les rues éclairées cherchant à privilégier ruelles et rues plus sombres. Un sacré challenge mais rien n'était impossible. L'inconnu finit par s'arrêter et lever les yeux vers le lampadaire qui éclairait fortement le trottoir. Un délicat visage féminin se dessina sous la capuche qui recouvrait sa tête.

« Saloperie d'électricité ! »

Une insulte qui s'adressait aussi bien à l'énergie qu'au nouveau dieu qui en avait émergé. Décidément, il y avait des dieux qui naissaient pour tout et pour rien maintenant. L'évolution que connaissait le monde depuis deux siècles avaient engendré l’émergence de tout un tas de déité qui venait concurrencer les anciens panthéons auxquels la jeune femme appartenait. Car oui, la jeune femme encapuchonnée qui se baladait à une heure tardive dans les recoins sombres de la ville Lumières était une déesse. Une déesse d'un autre temps, d'un autre âge. Une déesse dont la puissance n'avait cessé de décliner depuis des siècles. Elle n'était pas le seule dans ce cas là. Tous les panthéons anciens subissaient le même déclin. Les humains, qui autrefois la vénéraient, s'étaient tournés vers d'autres religions, d'autres croyances ou avaient simplement cessé de croire. Le monde avait changé. Beaucoup trop.

La déesse antique reprit sa route, hâtant son pas. Elle n'aurait pas du se retrouver dehors vu que son visage s'affichait de manière régulière sur tous les écrans francophones. N'importe qui pouvait la reconnaître et donner l'alerte. Loki avait joué intelligemment en l'assignant au rôle d'ennemi n°1. La peur était un moyen à la fois primaire et diablement efficace pour manipuler les foules.

Epona, car c'était elle, aurait dû rester dans l'appartement qu'elle partageait avec son frère, Teutatès, mais elle n'en pouvait plus de rester enfermée entre quatre murs. Elle était une déesse qui se rattachait à la nature. Déjà vivre à Paris était difficile pour elle, alors être privée de sortie, c'était finir par la rendre folle. Profitant de l'absence du dieu celte, elle avait décidé d'aller se balader et prendre l'air. Un petit parc se trouvait à moins d'un quart d'heure de marche de l'endroit où ils se terraient.

Vêtue d'un simple survêtement noir et d'une paire de baskets, elle faisait attention aux rues qu'elle empruntait pour éviter de rencontrer âme qui vive. Une expression intéressante pour celle qui avait eu l'habitude de côtoyer des âmes tout au long de son existence. Déesse psychopompe, elle avait conduit les âmes de nombreux guerriers et héros vers les terres immortelles d'Avalon après que son frère eut rendu sa justice. Seuls les meilleurs avaient la chance de pouvoir de pouvoir chevaucher la déesse pour gagner ces contrées. Alors non, vous qui lisez cette histoire, ne vous faites pas une fausse image de la jeune femme. Douée de capacité métamorphe, elle se changeait en un élégant cheval alezan à la crinière blanche pour porter chaque élu vers la terre promise. Une capacité qu'elle avait conservé bien qu'elle ne l'utilisait plus que très peu aujourd'hui. Aussi croiser des âmes serait plutôt rassurant pour elle. Elle préférait la compagnie des morts que des vivants.

D'ailleurs son métier lui manquait. Avec l'évolution du temps, elle avait du se fondre dans la masse et occuper des fonctions plus terre à terre. Cependant, elle avait choisi d'épouser un métier qui la ramenait vers la mort. Cette dernière faisait partie d'elle. Epona avait donc opté pour la médecine et quand elle dut choisir une spécialité, elle s'était dirigée vers la médecine légale. Un autre moyen de rester en lien avec ce qu'elle était. Cherchant les causes de mortalité, elle veillait à prendre soin de chaque corps qui venait à elle. Le respect était primordial et elle prenait également soin des familles en peine. Elle ne pouvait que leur offrir son soutien, sa compassion et son aide pour trouver une explication voir un coupable à la perte d'un être cher. Elle ne connaissait que trop cette peine. Malheureusement, depuis le déclin des divinités anciennes et les combats entre panthéons, les pertes avaient été lourdes et la peine immense.

Mais ces sombres pensées furent vite chassées alors qu'elle parvenait enfin au parc. Elle respira alors à plein poumons. Même si les odeurs d'essence et de bitume étaient présentes, elle percevait plus nettement l'odeur de l'herbe, la résine des arbres, la fraîcheur qui se dégageait du petit lac et les bruits des insectes et petits animaux nocturnes. S'il n'y avait pas tous ces lampadaires, ce serait parfait. Elle s'avança pour aller s'installer près du lac mais un cri l'arrêta net.

Perdue dans ses pensées, elle n'avait pas fait attention à ce qui pouvait l'entourer. Une grave erreur. Un nouveau cri se fit entendre. Un cri de femme. Un cri qu'elle aurait reconnu parmi des centaines d'autres. Un cri que nombre de femmes avait poussé depuis la naissance de l'homme. Se mettant à courir, la déesse se dirigea vers l'origine des cris et ne tarda pas à découvrir une jeune femme sur un banc.

« Génial ! Il ne manquait plus que ça ! »

L'inconnue était enceinte et certainement sur le point d'accoucher. Epona ne tarda pas à la rejoindre, s'asseyant près d'elle et cherchant à la rassurer devant le mouvement de peur de la jeune femme.

« Ne craignez rien, je suis médecin. Je vais vous aider. Vous avez prévenu les secours ? »

Inutile de préciser qu'elle était médecin légiste et non obstétricien ou au moins généraliste. La blonde déesse afficha un sourire rassurant. Cela sembla apaiser un peu la future mère.

« Oui mais... Ahh... »

Une nouvelle contraction lui arracha un nouveau cri. Epona serra délicatement sa main. L'ambulance devait être en route mais difficile de savoir quand elle allait arriver. Cela dépendait de la circulation, elle pouvait être là dans deux minutes comme dans trente.

« Respirez, respirez, doucement... voilà... »

Bien qu'elle soit une déesse psychopompe, elle était aussi la déesse de la fertilité. La naissance lui était aussi liée d'une certaine façon.

« Mon mari... est parti en voyage d'affaires... il ne voulait pas mais... je lui ai dit que ça irait... Ah... »

Mauvais choix mais il était trop tard pour revenir en arrière. Il fallait agir rapidement.

« Vos contractions sont très rapprochées. Est-ce que vous me laisseriez vous aider ? »

Elle aurait pu s'imposer mais le moment était délicat pour cette inconnue. Il était inutile de la brusquer et de l'angoisser davantage. Encore une fois, le visage délicat de la déesse s'illumina d'un sourire rassurant et bienveillant. La jeune femme hocha la tête.

« Ok, allongez-vous. Je vais vérifier où vous en êtes. »

Epona sentait bien que l'inconnue était mal à l'aise mais elle obéit et s'allongea sur le banc, laissant la déesse vérifier son état. Un simple coup d’œil lui apprit qu'il y avait peu de chance que l'ambulance arrive à temps.

« Comment vous appelez-vous ? »

« Catherine. »

« D'accord Catherine, votre col est effacé et vous êtes complètement dilaté. Le bébé arrive. Je ne pense pas que l'ambulance arrive à temps. Vous avez déjà eu un bébé ? »

Catherine hocha négativement la tête alors qu'une nouvelle contraction lui arracha un cri. Epona lui prit la main.

« Serrez ma main, n'ayez pas peur. Je suis là. Je suis avec vous. Tout ira bien. »

Son ton était calme et posée, rassurant. Minute après minute, elle guidait la jeune femme dans cet accouchement imprévu. Malgré les siècles et les nombreux accouchements auxquels elle avait pu assister, Epona trouvait toujours ce moment magique. Même si les humains s'étaient détournés d'elle, elle les considérait encore avec bienveillance. C'était une race jeune qui évoluait au gré des courants et qui progressait petit à petit. Ils étaient capables du pire comme du meilleur et la déesse préférait voir le meilleur.

« Très bien Catherine. Vous allez devoir pousser à la prochaine contraction. Prête ? Poussez... »

Si Epona conduisait les âmes mortes vers les terres immortelles, elle pouvait aussi favoriser la fertitilité et donc les naissances. Celles qui la priaient, voyaient leur chance multipliée pour être enceinte voir avoir des jumeaux ou des triplés. Un rôle qu'elle appréciait grandement. Elle aimait voir la joie sur le visage des femmes alors qu'elles se rendaient compte que leur ventre s'arrondissaient sous la croissance de ces nouvelles vies.

« Très bien Catherine... encore un effort... »

La bruit d'une sirène d'ambulance se fit entendre. La cavalerie arrivait mais avec du retard. Ce n'était pas grave, ils allaient prendre la relais.

« Voilà la tête. »

Encore quelques instants et le bébé poussa son premier cri. Epona ôta rapidement sa veste pour couvir le nouveau-né.

« C'est un garçon. Un magnifique petit garçon en parfaite santé. »

Elle berça le petit garçon quelques secondes avant de le laisser rejoindre les bras de sa mère. Elle sentit les larmes couler sur ses joues et la joie inonder son cœur. C'était un sentiment indescriptible. Un bonheur sans nom qui envahissait tout son être.

« Oh merci, merci... »

« De rien. C'est vous qui avez tout fait. »

Son sourire illuminait tout son visage. Un sourire qu'elle n'avait pas affiché depuis bien longtemps. C'est avec une émotion profonde qu'elle regardait la mère et l'enfant. Une image du bonheur parfait. Un bonheur qu'elle n'avait jamais connu.

Un bruit de course se fit entendre et la cavalerie débarqua. Mieux valait tard que jamais et il était temps pour elle de partir. La réalité la rattrapait, elle ne pouvait pas courir le risque d'être reconnue. C'est à regret qu'elle s'éloigna de Catherine. L'effervescence qui régnait lui facilita la tâche. Les infirmiers se concentraient plus, et logiquement, sur la nouvelle maman que sur la jolie blonde. Avec agilité et silence, Epona quitta le parc.

Elle ne tarda pas à s'entourer de ses bras. Sous sa veste, elle ne portait qu'un débardeur et il ne faisait clairement pas chaud cette nuit. La déesse se rendit alors compte que ses bras n'avaient jamais eu la chance de bercer son propre enfant. Malgré les siècles et les millénaires, elle, la déesse de la fertilité, elle n'avait jamais eu la chance d'avoir un enfant. Toute la chaleur et la joie qu'elle avait ressenti à la naissance du petit garçon s'évanouit soudain laissant remonter ses émotions les plus douloureuses.

L'amour, c'était le sujet tabou chez elle. Elle l'avait toujours espéré autant qu'elle le redoutait. Il fallait dire que les exemples qui l'entouraient n'étaient pas très flatteurs. Entre les dieux qui copulaient à tout va et ceux qui se faisaient avoir par amour, le tableau n'était pas flatteur. Teutatès s'était fait avoir comme un bleu. Quel crétin celui-là ! Son frère avait abandonné son panthéon pour aller compter fleurette à une salope grecque qui l'avait copieusement roulé dans la farine. Une relation qui avait été une erreur. Une erreur qui avait coûté cher à tout leur panthéon. Zeus ayant profité de l'absence du dieu majeur pour déclencher une attaque sur les dieux celtes. Et même si Teutatès avait fini par revenir, le mal était fait et la guerre avait été perdue.

Epona n'avait pas pardonné à son frère pendant très longtemps. Il était certainement la seule personne qu'elle avait aimé, à qui elle tenait profondément. Aussi, le voir tout plaquer et l'abandonner pour une autre, pas même une celte, cela l'avait démolie. Une véritable trahison pour elle. Au fil du temps, sa colère s'était un peu apaisée et aujourd'hui, au vu des conflits, elle avait réussi à passer un cap. Elle lui avait pardonné mais ce ne serait jamais totalement comme avant.

La trahison de Teutatès avait été un tel choc pour elle qu'Epona s'était fermée à tout sentiment qui pouvait s'apparenter à de l'amour. Sa peur de l'amour et de la trahison avait été bien plus forte que son envie de trouver un compagnon. Chez les Celtes, elle avait le surnom de « la vierge écuyère ». Cela lui avait même valu d'être priée par certains Romains. Un grand pied de nez au panthéon éponyme. Les soldats romains la décrivaient comme la déesse solitaire et résolue au célibat. Une déesse plurielle, à la fois protectrice des femmes et de la fertilité mais aussi la fidèle compagne des morts. C'était les Gaulois engagés au sein de l'armée romaine qui avaient introduit son culte. Les soldats romains fixés en Gaule avaient fini par être sensible à la déesse, une figure assez différente de ce qu'ils connaissaient. Cela avait toujours fait rire Epona. Elle ne se moquait pas des humains qui avaient décidé de l'intégrer à leurs prières mais bien des dieux romains qui voyaient cela d'un mauvais œil bien sûr. Elle ne chercha pas à intégrer le panthéon romain et cela se fit un peu malgré elle. Impossible d'empêcher les gens de prier. Heureusement, les Romains qui la priaient étaient surtout ceux qui avaient fini par vivre en Gaule.  

« Vierge écuyère »... Un surnom étrange car vierge, elle ne l'était plus. Si l'amour n'avait pas été au rendez-vous, elle avait bien eu quelques aventures. Pas spécialement nombreuses et plus par envie de tromper son ennui et sa solitude. Le pire avait été durant l'absence de son frère où elle avait succombé aux plaisirs de la chair à plusieurs reprises. Rien d'extraordinaire non plus, surtout par rapport à d'autres dieux, mais pour elle ce n'était pas anodin. Depuis, elle ne pouvait pas dire que sa vie intime soit très palpitante. Cette dernière, comme sa vie amoureuse, semblait un désert sans fin.

Sans enfant, sans compagnon, elle se sentait très seule. Elle frissonna alors qu'elle parvenait au pied de son immeuble. Un coup d’œil vers son appartement lui appris que Teutatès était rentré vu la lumière qui inondait la baie vitrée. Une silhouette passa puis une seconde. Morrigan !

Epona soupira. Décidément, son frère n'apprendrait jamais. Après Nyx, voilà qu'il était avec Morrigan. Elle ne pouvait pas oublier que celle-ci était venue l'aider alors qu'elle prisonnière de Loki mais elle se doutait qu'elle ne l'avait fait que par rapport à Teutatès. Cela voulait sans doute dire qu'elle avait des sentiments pour lui. Au moins, à la différence de Nyx, elle se foutait pas de lui. Enfin, elle l'espérait.

La déesse resta encore un long moment dehors. Elle n'avait vraiment pas envie de voir le petit couple ensemble. Cela ne faisait que lui rappeler sa propre solitude. Quelque part, elle était contente pour son frère mais d'un autre côté, elle lui en voulait aussi. Il l'avait trahie une fois. Elle lui avait pardonné. Elle ne le ferait pas une seconde fois.

Des bruits de pas la firent sursauter. Elle devait rentrer. La menace de Loki était bien plus grande que son désir de ne pas voir son frère et Morrigan. Même si elle n'en avait rien dit à Teutatès, elle ne s'était pas remise des souffrances que le dieu nordique lui avait infligé. Son corps avait guéri mais son esprit était marqué de façon indélébile. C'était un monstre de la pire espèce et elle se ferait une joie de l'éliminer même si elle ignorait encore comment.

Epona finit par entrer dans le hall. Rester dehors ne servirait à rien. Malgré son antipathie pour Morrigan, ils devaient s'unir. Les dieux celtes devaient cesser de s'affronter et, au contraire, s'allier pour affronter les menaces à venir. Si son frère l'acceptait et le voulait, il devrait pouvoir tous les unir et les diriger. C'était seulement comme ça qu'ils pourraient tenir tête au nordique mais aussi à toutes les menaces qui semblaient fondre sur eux.  

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