Rencontre fleurie entre la Nuit et les Flammes

Rencontre fleurie entre la nuit et les flammesAylaen avait eu bien du mal à trouver où se garer : Paris avait bien des qualités, ses places de parking n’en faisaient pas parti. En plus, elle était une piètre conductrice, aussi maladroite au volant que dans son quotidien ! Certains s’inquiétaient que les dieux se fassent tuer par des dangers innommables, elle, elle était persuadée que son véhicule disparaîtrait bien avant, dans un accident de la route par exemple. Après tout, elle n’était plus aussi solide qu’au temps de la gloire de leur panthéon. Si elle n’avait pas mesuré un mètre soixante-dix-huit, elle aurait même été jusqu’à dire qu’elle n’était qu’une petite chose fragile. En ouvrant les portes du camion qu’elle avait loué pour l’occasion, elle soupira : il allait lui falloir plusieurs voyages pour tout vider, et elle était à plusieurs centaines de mètres du lieu de la réception.

Elle ne faisait pas, d’ordinaire, dans les fêtes et autres soirées mondaines. Ceci pour la bonne et simple raison qu’elle avait souhaité faire du commerce pour aider les mortels en les poussant à se confier, objectif qui nécessitait un endroit confortable et une ambiance chaleureuse. Au nombre de ses exceptions se trouvait cependant les commandes passées par sa famille : non seulement elles lui permettaient d’éviter d’accumuler des dettes qui pourraient lui faire fermer boutique, mais en plus c’était une occasion de voir les membres de son panthéon. On ne pouvait pas vraiment dire qu’elle ait croulé sous les visites ces dernières années alors autant en profiter quand c’était possible.

Inspirée autant par le nom du lieu, la Lune Noire, que par la nature de sa tante, Aylaen avait choisi des bouquets faits de fleurs violettes, blanches et noires. Ces deux dernières étant des roses, malheureusement nées sous serre car elles n’étaient pas de saison. Cela ne représentait pas un trop gros problème : Aylaen avait d’excellents fournisseurs, les roses étant naturellement demandées toute l’année. Notez que ce n’était pas non plus la saison des cattleya, mais la fleuriste divine s’en souciait moins, ces fleurs ne poussant pas sous le climat français de toute façon. Cette plante originaire du brésil apportait un peu de gaieté aux compositions bien que son parfum soit étouffé par celui des roses. Aylaen les respira et attrapa deux énormes pots, fermant la porte du camion du pied, le temps de tout poser par terre pour attraper sac à main à bandoulière et clefs afin de protéger sa location et le chargement qu’elle contenait.

Elle s’encombra ensuite des deux pots, qui la cachaient entièrement, et sortit du parking souterrain pour rejoindre, plusieurs mètres plus loin, la Lune Noire. « Hum… bonjour ? Je suis Aylaen Summers, la fleuriste, c’est N… Midnight qui m’a engagée » dit-elle à l’entrée à un membre du personnel qu’elle apercevait à peine derrière ses fleurs. Après avoir posé ses pots, elle soupira de soulagement. La force n’avait jamais été dans ses dons, et elle n’aurait rien enlevé à l’encombrement. Dire qu’il lui en restait d’autres, tout aussi imposants, à ramener… Mais avant, elle devait trouver Midnight. Sauf que sa tante était une femme importante, normalement, elle ne voyait probablement pas le petit personnel. Un remède miracle contre les barrages divers : la technologie moderne. S’emparant de son téléphone, elle chercha dans ses contacts sa tante et lança l’appel : « Allo ? Midnight ? C’est Aylaen. On peut se voir avant que j’installe ? Ça fait longtemps ! ».

Même du temps où elle se faisait appeler Hestia, elle n’était pas très proche de sa tante, déesse de la nuit. Que leur père les ait avalé dès leur naissance, sa fratrie et elle, n’avait pas aidé à nouer des liens avec la génération les précédant, eux, les olympiens. Néanmoins, parce que c’était dans sa nature de préserver les liens, elle n’avait pas non plus de mauvais rapports avec Nyx. Hestia traitait réellement Nyx comme une tante, aimée et respectée, tout comme elle n’avait toujours vu en ses frères rien de plus que des frères. Qu’elle soit l’une des rares olympiennes à ne pas être frappée d’hubris et d’orgueil – en revanche elle était affligée depuis toujours d’une maladresse effroyable – avait participé à conserver de bonnes relations avec à peu près tout le monde. Sauf Eris évidemment, fille de Nyx et seule ennemie de la douce Hestia. Mais comme la plus gênée des deux était généralement la déesse du feu sacré, ces disputes entre cousines n’avaient jamais entaché la relation de Hestia et Nyx. Par ailleurs, elle s’entendait très bien avec ses autres cousines, celles à qui elle parlait en tout cas.

« On m’a parquée dans la salle de réception pour information ! À tout à l’heure ! » C’était un peu humiliant d’être ainsi contrôlée comme si elle n’était rien, mais on ne pouvait pas dire qu’elle n’avait pas l’habitude. Déjà en Olympe, quand elle avait abandonné son trône à Dionysos – par ailleurs son neveu préféré, elle n’avait jamais eu aucun regret de l’avoir protégé de vaines vindictes de la part des onze autres -, elle avait été reléguée, beaucoup ne lui prêtant plus qu’un rôle décoratif. Mais la modestie était un choix. Y compris actuellement, alors qu’elle avait du mal parfois à joindre les deux bouts quand la plupart des membres de sa famille étaient riches et parfois célèbres, comme Nyx finalement. Une fois le téléphone raccroché, en attendant l’arrivée de sa tante, Aylaen se mit au travail. Elle commença à installer le contenu des premiers pots : ce serait toujours ça de fait ! 2981 12289 0

Nyx a toujours aimé la nature et ses présents. Pas sous leur forme divine, la Nuit n'ayant pas spécialement d'atomes crochus avec ceux que les mortels ont décidé d'incarner dans la vie, mais, sans aucun conteste, elle a toujours trouvé que les merveilles secrètes des forêts vierges de l'Antiquité, qui recouvraient presque tout le continent européen en ce temps-là, valaient bien les trésors des étoiles. Le développement exponentiel de la race humaine eut tôt fait de faire disparaître presque toutes ces merveilles cachées, ne laissant que des cités pleines de fer et de béton, fer et béton qui lui rappellent désagréablement le caractère austère du Tartare, en bien pire. Pire, oui, puisque Nyx avait décidé de vivre aux confins des Enfers, avec l'unique compagnie de son jumeau une fois ses enfants partis, alors qu'elle n'avait jamais demandé aux humains de construire des jungles bétonnées irrespirables et déconnectées de toute nature ambiante, jusqu'à ses étoiles adorées, éclipsées par leur satané éclairage public !

En réalité, la Nuit n'a que des raisons de haïr les citadins, qui ne sont, à son avis de déesse, que le reflet de la société malade et aliénée que les mortels ont bâti. Rien de surprenant, donc, à ce que, au moment d'organiser une soirée mémorable, la déesse fasse créer un décor qui lui siérait, une forêt végétale et fleurie, de goût, nécessaire à l'accueil de ses invités. Fasse créer, oui, car la déesse est aussi capable de jouer les morceaux les plus difficiles au violon qu'elle est incapable de la moindre harmonie en matière de couleurs, et autres. Son esprit est sans doute trop protocolaire, trop analytique pour être doté du moindre esprit créatif. Autant laisser cela, donc, à des professionnels. Professionnels comme sa nièce, Hestia, déesse du foyer et sans doute l'une des olympiennes à ne pas susciter son mépris. En effet, elle est douce, raisonnée et raisonnable, décente, intelligente... Et avait mérité son respect en laissant sa place à un autre sur le Mont Olympe. A peu près tout le contraire de ses frères et sœurs. Rien d'étonnant, donc, à ce que sa présence lui soit beaucoup moins désagréable, et même agréable, que celle de ses frères et sœurs.

« J'aimerai que tu me fasses quelque chose de grandiose, Aylaen. Budget illimité. Fais moi plaisir en te faisant plaisir, j'ai entièrement confiance en tes talents créatifs. » Elle lui avait dit, avec un sourire, quand elle était passée la voir, à sa boutique, pour passer commande. Entièrement confiance dans ses talents créatifs, et aussi la certitude qu'elle ne pourrait même rêver d'arriver à quelque chose de proche en beauté de ce dont est capable la déesse du foyer. Il n'est donc pas surprenant que la Nuit soit impatiente de voir le résultat, et présente au club beaucoup plus tôt que d'ordinaire, au grand dam de ses employés. Après tout, personne n'aime travailler avec le patron présent... Sauf que Midnight n'en a strictement rien à foutre, du confort de ses employés en la matière. Après tout, s'ils font correctement leur travail, tout se passera bien, non ?

Quoiqu'il en soit, la patronne est dans ses murs au moment où Aylaen arrive. Elle est quelques étages au-dessus, en train d'essayer de décider comment clôturer proprement cette soirée en compagnie de son assistante, Zhu Li, quand l'un de ses téléphones, celui qu'elle gère à la place de Midnight, sonne. Le temps que l'assistante trouve le téléphone et décroche, les sonneries étaient arrivées à leur terme, et l'appareil avait basculé sur la messagerie, messagerie qui sonne à son tour, quelques instants plus tard. Cette fois, Zhu Li décroche, et pendant que sa patronne continue à méditer, écoute le message laissé par Hestia, avant de raccrocher. Nyx ouvre un œil curieux et le pose sur son assistante. « Une dénommée Aylaen vous attend dans la salle de réception. Elle voudrait vous voir avant l'installation, disant que ça fait longtemps que vous ne vous êtes plus vues. » L'assistante sait que quelque chose cloche quand elle voit la patronne froncer légèrement les sourcils. Midnight ne fronce les sourcils que lorsqu'elle est contrariée, ce qui n'est jamais de bon augure. « Zhu Li, vous n'avez pas fait faire de badge à Aylaen ? » Un silence pesant s'en suit. L'expression de l'assistante se déconfit. « Je regrette, je... » La déesse balaie les excuses d'un revers de main, et se lève. « Accompagnez moi en bas, vous aurez ainsi l'occasion de le faire. » La jeune femme hoche la tête en signe d'assentiment, emboîtant le pas de la Nuit vers l'ascenseur.

Sans un mot de plus, Zhu Li est abandonnée à la réception pendant que Midnight, suintant le charisme dans un tailleur noir et blanc à la coupe impeccable, et irradiant d'une puissance toute en discrétion, rejoint sa nièce, qui a, sans surprise, la tête dans un pot. Sans un bruit, Nyx se glisse à côté d'elle, et se penche légèrement au-dessus de son épaule, pour lui demander « Il y a des choses intéressantes là-dedans ? » Une petite plaisanterie, bien sûr, histoire de faire se relever sa nièce pour qu'elle puisse la prendre chaleureusement dans ses bras. « Bienvenue à la Lune Noire Aylaen. Je suis ravie de t'accueillir. » Ravie, et un peu curieuse aussi. Hestia est la première grecque, en dehors de ses enfants, à mettre le pied dans son club. Forcément, Nyx est curieuse de savoir ce qu'elle en pense. En voyant les deux pots pleins de fleurs superbes, la déesse déduit qu'ils ont été apportés par la fleuriste, mais constate aussi surtout que ces quelques fleurs sont loin d'être suffisantes pour la forêt fleurie qu'elle avait commandé. La Nuit sourit gentiment à sa nièce. « J'imagine que le reste doit encore être déchargé ? » Zhu Li choisit ce moment opportun pour les rejoindre, et tend un badge à Aylaen. « Je vous prie de nous excuser pour l'inconvénient, mademoiselle. » Un petit sourire de la patronne à l'assistante pour lui faire savoir qu'elle pouvait cesser de se flageller mentalement, la soulager de sa culpabilité d'avoir failli à sa tâche, elle qui est si professionnelle, et Midnight reprend. « Si tu le souhaites, tu peux confier tes clés à Zhu Li, et lui indiquer où est garé ton véhicule? Comme ça, pendant que mon équipe se charge de mettre les plantes ici, toi et moi pouvons aller boire un café? » Elle se tourne vers la jeune mortelle. « Pourriez-vous faire faire le nécessaire, s'il vous plaît ? » A savoir, trouver quelqu'un pour venir garer la bête devant le club, et déployer l'équipe nécessaire pour que le déchargement se fasse rapidement, et efficacement. Zhu Li hocha la tête en signe d'affirmation, plus que compétente pour gérer ce genre de tâche, et tendit sa main à Aylaen, dans l'attente de ses clés.

Rencontre fleurie entre la nuit et les flammesHestia se redresse d’un coup au son de la voix de sa tante. Très mauvaise idée : elle cogne l’un des pots qui chancelle dangereusement et se trouve sur le point de tomber. Le désastre – autant pour les fleurs que pour les sols – est évité de justesse, Hestia rattrapant le contenant de justesse. Il était heureux que le poids de l’eau ait rendu le pot en question assez lourd pour ne pas chuter brusquement. La déesse du feu sacré constata que la première catastrophe de la journée n’était pas pour tout de suite et soupira, soulagée, réalisant du même coup qu’elle avait dû retenir sa respiration jusque là.

Enfin redressée, la déesse fleuriste s’approcha de sa tante et lui rendit son étreinte avec un sourire. C’était si bon d’être parmi les siens ! Comme elle aurait aimé que tous s’entendent mieux pour vivre plus fréquemment ce genre de moments ! « Merci ma tante, je suis vraiment heureuse d’être ici » murmura-t-elle pour ne pas être entendue des mortels, son lien de parenté avec Nyx n’ayant rien d’évident parmi eux. C’était un autre des points qui chagrinait Hestia depuis qu’ils vivaient au milieu des êtres humains : devoir prétendre que sa famille n’était pas sa famille. Pour certains, ceux qui s’étaient mariés entre eux surtout, ça avait quelques aspects pratiques. Mais pour elle, célibataire depuis la nuit des temps, ce n’était qu’un élément supplémentaire la faisant se sentir seule et à l’écart.

Concernant la raison de sa présence à La Lune Noire, Hestia hocha la tête par l’affirmative : « Oui ! J’en ai un plein camion, mais je ne pouvais pas transporter plus de deux pots au déchargement ». Une femme qui devait être l’assistante de Nyx lui tend un badge en s’excusant. Avec sa bienveillance habituelle, Hestia lui sourit et la rassure : « Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas grave du tout ! ». La déesse aux cheveux roux savait bien qu’elle était arrivée assez à l’avance pour installer qu’un léger retard ne l’handicape pas. Nyx lui proposa ensuite de laisser la fin du déchargement à ses employés. Hestia hésita – ce n’était pas son genre de faire faire son travail par quelqu’un d’autre – mais c’était une occasion rare de passer du temps avec sa tante, aussi accepta-t-elle, d’abord d’un mouvement du menton, puis en paroles : « C’est une bonne idée, ils iront sûrement plus vite que moi, et j’ai bien cru emboutir trois fois le camion en venant ici. Les changements de files sont une horreur à certains croisements ! » puis, se tournant vers l’assistante, elle sortit les clefs de son sac à main. Pour venir voir Nyx, elle avait passé une petite robe noire patineuse, simple et confortable, mais toujours plus habillée que ses habituels jeans/sweats. Par dessus, elle avait une veste imitation daim blanche, et aux pieds des sneakers assorties à la veste. L’ensemble faisait ressortir la couleur de ses cheveux, trait immuable de son apparence si l’on songeait que son apparence divine avait déjà cette teinte de roux. Elle tendit les clefs à l’assistante de sa tante avec son ticket de parking. « Je suis garée dans le parking à 500 mètres d’ici, au niveau 2. C’est un utilitaire blanc de location, vous devriez le reconnaître facilement » Elle accorda un nouveau sourire à l’employée et précisa : « Dites-leur de faire bien attention avec les fleurs, les cattleyas sont très fragiles ! » Or, ces fleurs étaient la pièce centrale de sa composition pour la soirée en plus de ne pas être si facile que ça à trouver en grande quantité.

« Je te suis ! » dit-elle ensuite à sa tante, mains jointes sagement devant elle. Elle découvrait les lieux, aussi préférait-elle attendre que Nyx lui montre le chemin.
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