Another night in Paradise

Ce soir, comme souvent, Nyx a décidé de se faire belle. A ses yeux en tous cas. Pour cela, elle a choisi de se vêtir de l'une de ses robes favorite. Le haut est un body transparent, bleu nuit, avec des broderies somptueuses de perles blanches et noires qui dessinent des motifs arachnéens en constellations, de quoi agrémenter le body, et cacher sa poitrine, tout en laissant visibles son dos, ses bras, ses hanches, une partie de son ventre... La jupe, quant à elle, est en taffetas, également bleu nuit. La robe est magnifique, et Nuit aime particulièrement passer ses délicatement ses doigts sur les broderies tout aussi délicates. Pas de collier, pour accompagner cette tenue déjà scintillante, mais une discrète paire de boucles d'oreilles en platine et diamant en forme d'araignée, ainsi qu'un très fin bracelet dont la chaîne vient aussi enserrer son majeur. Un sac assorti, une paire de hauts escarpins noirs, ses longs cheveux noirs dans son dos, un maquillage simple, mais sensuel et la voilà qui s'engouffre dans la voiture, où l'attend son chauffeur. Sitôt la porte claquée, la voiture démarre.

La nuit est tombée depuis un peu moins d'une heure. Les réverbèrent éclairent depuis les trottoirs, projetant sur le macadam sombre leur halo, tantôt orangé, tantôt blanc. Derrière les vitres teintées, ils défilent, les uns après les autres, la voiture en direction du cœur de la capitale française. Les rues sont blindées. Comme toujours, la vue de la limousine emballe ceux à l'imagination fertile. A la faveur d'un stop, Midnight voit quelques jeunes femmes regarder dans sa direction, sans la voir. Elles se demandent qui est à l'intérieur, et espèrent secrètement qu'il s'agit d'un bel acteur américain, qui baissera sa vitre et leur proposerait de l'accompagner pour la soirée de leur vie... Nyx le sait, parce qu'elle est la Nuit, parce qu'elle entend très clairement leurs espoirs secrets... Mais rien de tout cela n'arrivera. Pas ce soir, en tous cas. Le feu passe au vert, la voiture démarre et emporte dans son sillage les espoirs déçus de ces jeunes femmes.

La Nuit reste de marbre. Elle a l'habitude de toutes ces choses. Ce sont elles, après tout, qui l'ont créée, de ces choses qu'elle est née. La voiture finit par se stopper au pied d'un imposant building, l'un des plus hauts de Paris. A son sommet, un restaurant. Hors de prix, il n'y a qu'une minuscule élite qui ait jamais pu y monter, et une plus petite encore qui ait pu y dîner. Midnight, pour sa part, y va assez souvent pour que le portier la salue par son nom de famille et lui lance chaleureusement un « C'est un plaisir de vous revoir ! » en lui tenant galamment la porte, assez souvent pour que le groom de l'ascenseur lui glisse qu'elle est exquise, comme toujours, assez souvent pour que le majordome recueille diligemment son manteau et son sac dès les portes ouvertes, et la conduise vers sa table habituelle. La déesse s'y assied avec plaisir, constatant qu'un verre de son apéritif favori, bien frais, l'y attend déjà.

En même temps que son temps, Midnight prend ses aises, et vient délicatement saisir son verre d'apéritif. La vue sur la capitale est à couper le souffle. De tous les restaurants parisiens, la déesse n'est fidèle qu'à celui-ci, car c'est ici qu'elle est au plus proche d'elle-même, plus proche de la voûte céleste nocturne. D'ici, elle voit tout, ou presque, et ses sens peuvent se fondre et s'étendre dans la nuit comme nulle part ailleurs. Même si elle ne les voit pas, elle sait que les serveurs et le reste du personnels sont prêts à se plier en quatre pour elle. Ils savent qu'ils sont partis pour une longue nuit, mais aussi une nuit très lucrative, parce qu'à chaque fois que Midnight Richards vient dîner dans ce restaurant, elle arrive dès le début de soirée, et ne repart que peu avant les petites heures de l'aube. Elle reste là, seule bien souvent, à observer la vue, toute la nuit. Et, quand elle s'en va, ses pourboires sont plus que généreux. Elle n'a rien dit, n'a échangé avec personne, mais se glisse toujours dans sa voiture le sourire aux lèvres. Avec le temps, le personnel avait cherché à percer les mystères de ce rituel... Mais peine perdue.

Ce soir ne fait pas exception à la règle. Ce soir, Midnight prévoit de déguster un excellent dîner, qu'elle accompagnera d'excellentes bouteilles de vin, et ce, jusqu'à l'aube...

D'ordinaire, Nyx n'est que rarement importunée par les autres divins. Si son aura ne parle pas pour elle, alors sa célébrité s'en charge. Système de sécurité, loin d'être impossible à franchir pour les divins, mais l'exposition qu'ils en retireraient... Ils ne sont pas prêts. Pas consciemment, en tous cas. Ce qu'elle avait pu voir dans la presse, et le profil bas adopté par ceux qu'on cherchait à confondre lui faisait dire que de toutes les menaces, celle que leur espèce soit dévoilée au grand jour restait un tabou très important. Tant qu'elle serait une personnalité publique, les dangers desquels elle devrait se méfier seront les plus insidieux. Ici, malgré la présence de deux divins qu'elle ne connaît pas, Nuit ne se sent pas menacée outre mesure. Le personnel, lui, est humain. C'est une habituée, et une célébrité. Deux cartes relativement dissuasives. En tous cas l'espère-t-elle, même si, le cas échéant, elle demeurait prête à toute éventualité.

Dans tous les cas, clients divinement bruyants ou non, Nuit décide de ne certainement pas bouder sa soirée. En rentrant, elle a échangé un regard avec un très élégant jeune homme, malheureusement déjà occupé avec une autre dame semble-t-il. En créature curieuse dont le domaine de patronage s'étend aux amants en fuite sous son voile, Nyx ne peut s'empêcher d'écouter les conversations des autres clients. Ici, on avait monsieur avec sa maîtresse pendant que madame est en Italie. Là, une patronne de boîte pharmaceutique lutte pour obtenir un contrat juteux. Là-bas, les divins en pleins gargarismes. Nyx ignore ce qui les rend si festifs, jusqu'à ce qu'ils baissent un peu la voix... « Je te promet, il était méconnaissable... Et en pleine rue ! On dira ce qu'on voudra, mais elle en a quand même une sacré paire... » Impossible pour elle de savoir ce dont ils parlent, mais la Nuit gage que ça n'avait rien d'attrayant pour au moins une personne... Et puis elle en vient aux platitudes échangées entre l'élégant inconnu du bar et sa conquête. Discrètement, la déesse esquisse un sourire que, peut-être, l'homme remarque... Mais n'importe.

Est-ce cela qui le fait délaisser la jeune femme à la robe en perles pour sa table ? Nyx l'ignore. Le fait est que le gentleman finit par lui faire face. Il ouvre la bouche, et, en une phrase, la lumière se fait. Monsieur doit être une créature, et ce qui flaire chez elle, comme chez les deux autres clients, est le parfum de la divinité. Gardant le silence quelques longues secondes pendant lesquelles elle jauge et la créature, et la situation, elle finit par répondre. « Vous devez avoir le nez fin, ou bien les avoir observés de près, pour savoir quel vin ils boivent... » L'un dans l'autre, l'intérêt qu'il leur porte est suspect. Si ça avait été des amis, il serait sans doute en train de dîner avec eux... Avec les troubles récents, le monde surnaturel était sans dessus dessous. Qui était avec qui, et contre qui ? Qui risquait-elle de s'aliéner en discutant avec cet inconnu ? Est-ce que le risque en valait-il seulement la chandelle ? « Cela froisserait-il votre compagne que vous vous asseyiez avec moi, si nous devons avoir cette conversation ? » Elle demande, peut envieuse de créer un esclandre dans un tel lieu, et pour un gain, vu d'ici, nul. Nul, car la Nuit ignore totalement ce qu'elle aurait à gagner à discuter avec une créature inconnue. En revanche, perdre le privilège de venir dîner ici tranquillement à cause d'une femme jalouse... ça, ça lui semble totalement inacceptable. Avant, donc, de prendre le risque que la demoiselle ne vienne chercher l'élégant jeune homme par la peau des couilles, Nyx préfère établir de façon claire qu'il est hors de question qu'elle mange de ce pain-là...

Un magicien ne révèle jamais ses secrets... Midnight ne cherche même pas à réprimer un sourire, qui fait pétiller ses yeux. Ainsi donc, monsieur aime le mystère...? D'un coup, la soirée, pour partie au moins, s'annonce moins solitaire, moins calme. Si la Nuit aime la paix, elle n'est pas assez asociale pour refuser l'opportunité d'une discussion intéressante dans un monde où les gens sont de plus en plus sots. Avec la certitude de ne pas voir arriver Madame en furie à leur table, les maigres appréhensions de la déesse s'évanouissent, son intérêt ainsi que son amusement renouvelés par l'assurance dans la bouche de cet impétueux qu'elle est concurrente des autres... Choses, gloutonnes, là-bas. Mais ce n'est pas tout. Monsieur dit vouloir écouter lesdits concurrents. Pense-t-il que c'est ce qu'elle fait... ? La perspective qu'il la pense espionne donne envie à la divine de rire à gorge déployée, mais, pudique comme elle est, elle n'en fait rien. Se gardant de répondre pour le moment, elle laisse l'apparent jeune homme se montrer fort galant, avant de le considérer pendant un bref instant, bien que souriant toujours de cet air mutin, avec circonspection. Pour reprendre la parole, la déesse ne prend même pas la peine de se redresser. En fait, ses doigts graciles viennent s'emmêler négligemment dans ses cheveux. D'amusé, se sourire se fait plus humble. « Vous et moi savons que je n'ai que l'air d'une fleur délicate... Si d'aventure vous me brusquiez, je peux penser à au moins trois façons de me débarrasser de vous, la première consistant à poliment prendre congé, comptant sur la courtoisie que vous démontrez jusqu'à présent pour l'accepter... » La tête de la déesse s'incline légèrement. « Quant à me contraindre, comme vous dîtes, ça m'amuserait beaucoup de vous voir essayer... » Menace ? Plaisanterie grivoise ? Simple trait d'humour ? Peut-être tout à la fois ? Impossible à dire, tant l'expression de la déesse se veut sibylline...

Du bout du pied, elle écarte légèrement la chaise qui lui fait face, en guise d'ultime invitation à cette intéressante distraction, venue se jeter toute seule directement dans ses toiles. « Alors dîtes-moi... Qu'est-ce qui vous fait penser que je suis concurrente des deux messieurs là-bas, et pourquoi souhaitez-vous les écouter ? » Midnight avait conservé la voix basse, et le pétillement dans ses yeux d'étoiles était revenu. Ce soir, la déesse ne cherche pas la vérité, bien qu'elle soit ouverte à la possibilité qu'elle lui tombe dans les bras. Ce soir, la déesse cherche surtout à se distraire en ce début de nuit, qui s'annonce longue. Il est possible que, ce soir, elle ne vive pas d'aventure par procuration, mais vive elle-même une aventure ? Ça pourrait l'amuser. Il y a tellement longtemps qu'elle ne s'est pas dégourdie... L'apparent jeune homme qui lui fait face semble être sur quelque chose, et Nyx se voit bien l'assister, cette nuit, comme parfois les piliers de bar peuvent soutenir les héros des films d'action en leur permettant de décanter leurs informations. Sauf que, dans le cas qui les concerne, ils sont dans un restaurant particulièrement select, à siroter du vin hors de prix, et non pas dans un bistrot crasseux à boire de la pi(l)sse... Peut-être que ce soir, elle serait le Dr Watson de ce Sherlock Holmes ?

L'idée est incongrue, et c'est sans doute pour cela qu'elle séduit la Nuit, parfois paresseuse. Du reste, la grecque n'oublie pas le caractère tendu des derniers mois. Toute nouvelle information serait la bienvenue. Si discuter, voire écouter, avec ce jeune homme peut lui permettre de protéger ses enfants, elle ne se risquerait pas à rater l'occasion... « Avez-vous déjà dîné ? » Elle demande, un rien plus fort cette fois. Juste un rien, pour avoir l'air plus naturelle, moins conspiratrice, mais à voix relativement basse, toujours, car Nyx ne sait, paradoxalement, pas faire les choses autrement qu'en discrétion. « Je me permets de vous suggérer de vous impliquer dans le menu. Chacun des plats sont des merveilles. » Elle lui sourit gentiment, avant de, justement, faire disparaître son visage derrière le sien. Comme ça. Juste parce que ça l'amuse.