L'avenir est un long passé [Intrigue I - Terminé]

Le retour a été explosif, ils ont attendu d’avoir rejoint une voiture de location à des kilomètres pour prendre la route et s’arrêter de nouveau. Chulainn ne supportait plus la hargne de la Morrigan, le pouvoir de Teutatès a amplifié ses besoins primaires, s’acharner sur l’humain n’a rien arrangé à la situation, il lui aurait fallu plus d’hommes à abattre pour enfin apaiser la déesse de la guerre. Ils s’étaient à peine arrêtés sur le bord de la route, que la lutte avait repris de plus belle. Chulainn était trop heureux de laisser s’exprimer leur sauvagerie, à l’abri des regards et Morrigan lui rendait chaque coup.

Difficile de préciser le temps qu’ils y passent, jusqu’à ce qu’ils s’effondrent dans la neige, le souffle court, d’épuisement. Ils sont trop échauffés par l’entraînement pour ressentir la fraîcheur, bientôt, c’est une autre forme de douleur qu’ils ressentiront, la peau bleuit, les muscles endoloris, la chair ouverte, ils n’ont pas frapper au point de se briser des os. Ils ne se sont fait aucun cadeau, un entraînement à la dure, comme ils en ont l’habitude, mais celui-ci était bien plus intense. Animés par une nécessité absolue de lutter, guerroyer, ce sont ses rares moments où l'esprit de la déesse est concentré sur une chose à la fois, où il ne s’éparpille pas en mille, emporté par la démence de ses prophéties.

Lorsqu’ils rentrent à l’hôtel, ils sont totalement fourbus, mais de bonne humeur. Ils partagent la même chambre, étant donné qu’ils sont censés être un couple en voyage touristique, émerveillés par les paysages de la Norvège. Elle préfère le climat de l’Irlande, plus doux en hiver. Chulainn prend sa douche pendant qu’elle regarde les restaurants alentour, elle le sent d’humeur particulièrement légère, frivole et joueur, la soirée n’est pas terminée pour eux. En sortant de sa propre douche, elle ne s’attendait pas vraiment à trouver la standardiste de l’hôtel dans leur chambre. Ils sont sur la même longueur d’onde, mais elle n'entend pas partager son lit avec cette inconnue norvégienne.

Déconfite, la dispute éclate, la déesse y met rapidement un terme, elle est trop claquée pour poursuivre et préfère passer le reste de la soirée ailleurs. Tendue, elle rentre par effraction dans une autre chambre, celle de l’enquêteur d’Interpol, pour y trouver un minimum d’intimité avant d’entrouvrir la fenêtre, se déshabiller et se transformer en corvidé. La prochaine heure ne sera pas une partie de plaisir pour elle, il vaut mieux qu’elle s’éloigne. Ça ne fait pas disparaître leur connexion, mais ça atténue les effets.

Le froid est glaçant, une bonne chose, une vengeance personnelle contre Chulainn qui rencontre des difficultés à réchauffer l’ambiance avec sa donzelle. C’est un jeu sans fin, elle ne lui a jamais rendu la vie simple et inversement. Forcés de cohabiter, leur relation a toujours oscillé entre bonne entente et aversion. Elle n’imaginait pas, il y a des siècles de cela, aux conséquences de sa malédiction. Cela partait d’une bonne intention, un héros de son acabit ne pouvait mourir si tôt, si jeune.

L’oiseau noir s’envole dans l’obscurité, parcourt brièvement les plaines alentours, puis la ville dans laquelle elle s’amuse à faire tourner en bourique les quelques civils qui s’y promènent. Toutefois, sa fatigue et son corps endoloris par l'entraînement intensif la ramène rapidement à la raison et elle rejoint l’hôtel. Elle ressent que son maudit s’est endormi, la somnolence la guette tandis qu’elle observe l’aurore boréale dont les reflets illuminent l’oiseau installé sur le toit. La déesse rejoint rapidement la chambre de Charles et referme la fenêtre. Il n’est toujours pas rentré, elle pourrait rejoindre sa propre chambre, mais elle ignore si la maîtresse de Chulainn ne dort pas à sa place.

Non, elle est mieux ici, elle attend des réponses depuis des heures, depuis qu’ils se sont séparés de la scène de crime. Le meilleur moyen de les obtenir est de l’attendre. Elle fouille dans le sac de voyage pour y trouver une chemise d’homme et s’en parer avant de s’enrouler sous les couettes du grand lit. La télévision allumée, elle somnole et finit bien rapidement par s’endormir. Épuisée et souffrante des multiples contusions.  

Les rêves de la Morrigan ne sont qu’un amalgame de couleurs vives, rouges, comme le sang, comme les flammes, comme la colère. Elle sent les flammes lui lécher le corps, elle entend ses hurlements, mais ne ressent aucune souffrance, plutôt une délivrance. Elle hurle de joie, un appel à la liberté, jusqu’à ce que la Mort lui fasse tout oublier. La Morrigan disparaît, mais la vision montre Chulainn, agenouillé, plus mort que vivant, dévasté, si seul. C’est son rêve, son souvenir d’un événement du passé, condamné à errer seul pendant que la déesse rejoint l’éther. Puis le néant, la déesse retrouve la sérénité de son sommeil.

La résonance des pouvoirs divins dans une même pièce finit par la réveiller, elle ne fait pas mine de bouger, parce qu’elle le reconnaît. Un bras vient lui ceindre la taille, sa voix l’invite à rester. Elle n’avait pas l’intention de quitter le cocon de chaleur entre le lit et les couvertures, pas l’intention de retrouver Chulainn même si elle le sait dans la tourmente de ses songes. Ce n’est pas la première fois qu’elle est témoin de ses propres morts à travers son regard, son esprit. Elle ne redoute pas la Mort, elle redoute davantage d’autres choses. La déesse se blottit dans les bras du Père des Celtes qui la remercie.

Ne me remercie pas. Je serais toujours présente pour ma famille. Sa famille, les dieux irlandais, aussi bien que les gaulois. Elle est sincère, malgré ses défauts, sa démence, les conflits, elle a toujours été d’une loyauté sans faille. Il lui avait demandé son prix, mais elle comptait intervenir sans cela, pour les protéger, tous autant qu’ils sont. Elle ne quittera pas ce monde avant d’avoir éliminé la menace, ou essayé. C’est pour cela que les humains l’ont fait naître, la guerre. Mais cette guerre, qui se prépare, elle souhaiterait que ce soit la dernière.

Epona est forte, son enveloppe n’était pas mortellement touchée et l’hémorragie maîtrisée pour ce que j’en ai vu. Elle est soulagée de savoir qu’elle s’en sortira, pour le reste… Elle est parfaitement détendue, dans les bras du divin, mais son esprit est aussi tourmenté que celui de son maudit. Ne sois pas trop dur envers Chulainn, il souffre autant que nous. Il vit depuis plus longtemps que certains Dieux. Il ne fait qu’apercevoir de brefs sentiments du maudit et la déesse, celle-ci les ressent en permanence et elle a conscience de lui devoir énormément. Sans doute plus qu’elle ne pourra jamais lui offrir. C’est pourquoi elle laisse passer beaucoup de choses de ses caprices. Si elle ressent souvent le besoin, la nécessité de s’isoler, s’éloigner de lui, elle ne peut s’y résoudre trop longtemps. Il fait partie d’elle, elle fait partie de lui. Ils forment un tout. Entre eux, tout est amplifié.

Ca me manque Teutatès. Tu m’as fait entrevoir ce que j’avais oublié, nous étions si puissants dans le temps. On se meurt tous dans ce monde, et pourtant… Elle soupire, tente de remettre de l’ordre dans ses tourments, ses pensées, son présent et son avenir. Le père de la tribu fait face à l’un des rares moments de lucidité de la Morrigan, lorsque l’esprit de Chulainn est serein, dans son sommeil, elle l’est. Je veux retrouver cette puissance. Mais à quoi bon dans ce monde ?

Elle se retourne, les yeux toujours clos, elle colle son visage dans le creux de son épaule, ses doigts viennent caresser les cheveux de sa nuque. Elle ne veut pas perdre ce contact avec lui et se fait plus proche encore en se lovant contre lui. Ce n'est pas vraiment du désir, elle exprime plutôt une crainte. Tu es le prochain, après Odin le père de tout, ils vont s’en prendre au père de la tribu. Elle n’est plus douée de son pouvoir de prophétie, mais elle n’en a pas besoin pour le sentir dans ses tripes, une certitude qui ne la quitte plus depuis la Mort d’Odin. Tu veux connaître mon prix ? Quand tout sera terminé... Cette menace éliminée… Elle ouvre les yeux et les relève dans les siens, grave et déterminée. Utilise leurs armes contre moi.

Ils n’ont jamais été aussi proches. Jamais. Ils représentent des rivaux de toujours, se sont plus souvent violemment confrontés par le passé, que réconfortés. C’est une grande nouveauté, elle ne se sent pas gênée d’être ainsi vulnérable face à lui, la déesse laisser parler ses besoins. Le besoin de le sentir vivant, pour le temps qu’il lui reste. Qu’il leur reste à tous. Ils ne craignaient plus rien, à vivre des siècles, des millénaires, en ce monde, à résister au christianisme, aux Nouveaux Dieux, ils ont faiblis, mais pas disparus, ils ont résisté à beaucoup de choses. La Mort d’Odin bouscule leurs certitudes. Pour la première fois, elle a peur. Pas pour elle-même, peur pour les siens, son peuple, celtes et irlandais confondus.  

Il compte sur elle pour les aider, les protéger. La Morrigan n’est pas la Mère de tous, toutefois, elle s'investit auprès des siens. Elle est déesse guerrière, forgée pour combattre et protéger ceux qui ont besoin de l’être. On l’invoquait pour prêter sa force, pour défendre, elle apportait la victoire, décidait qui vivrait ou mourrait au combat. Elle n’était pas une puissance à ignorer, ou négliger. Aujourd’hui, le déclin, de sa puissance et ses pouvoirs, est en marche, mais ses fonctions restent inchangées.

Elle en appelle à la clémence à l’égard de Chulainn, son maudit possède de nombreux défauts, dont il lui a laissé un parfait exemple ce soir, il est le seul à maintenir l’équilibre. Il mérite mieux que le manque de considération de sa famille divine, il mérite d’être placé comme un égal. Lui plus que la déesse dont l’esprit s’effrite. Non Teutatès, c’est moi qui le rend fou. Vérité brute, c’est elle qui perd la tête, pas Chulainn qui subit et fait de son mieux pour qu’ils ne sombrent pas totalement. Ce qu’elle estimait être une bénédiction à l’égard d’un homme qui fuyait la mort, c’est révélé être une malédiction. Déjà, à cette époque, n’avait-elle déjà plus toute sa tête.

Alors qu’elle expose son prix, la réponse est très distincte, un refus. Morrigan est désemparée par ce refus, même s’il fait preuve d’éloquence pour l’expliquer, elle ne comprend pas. Ne veut pas comprendre. Il ne comprend pas non plus, ce fardeau, cette démence tout juste contenu par l’effort d’un seul homme. S’ils n’étaient pas si proches, si elle n’était pas si enfoncée dans le sommeil serein de son maudit, elle aurait sans doute été submergée d’émotions primitives qui répondent au désarroi, à la colère. C’est tout ce qu’elle est devenue, une créature primitive, dont le seul appel du sang la sort de sa léthargie.

Tout à un prix. Je suis condamnée Teutatès, à errer dans cette démence. J’ai trop joué avec les événements, j’ai prophétisé et modifié trop de choses, le destin des hommes et des nôtres à ma guise, ça s’est retourné contre moi. Tu es le seul à pouvoir le comprendre, toi, tu le sens, je nage en permanence dans le brouillard permanent de mon esprit où le temps se mélange. Il n’y a pas de rédemption possible. Il poursuit, il se confie, il a voulu en finir lui aussi. Elle saisit brièvement son ressenti face à cette situation désastreuse, ça l’attriste, mais il a su relever la tête et continuer. Il sait à quoi ressemble la mort, elle aussi, à travers ses innombrables prophéties dont les souvenirs la hantent toujours, la mort de ses héros, de ses frères et sœurs, cousins et cousines. Si certains sont toujours de ce monde, c’est parce qu’elle a décidé d’intervenir sur les événements. Mais ce n’est pas la mort qu’il faut redouter. La vie est bien plus cruelle.

Elle referme ses doigts autour de leurs mains enlacés entre eux, en quête de ce contact physique, cherche une nouvelle fois de remettre de l’ordre dans ses pensées et ses propos. Elle retient toutefois la fragilité de son camarade, son aveu de faiblesse deux siècles plus tôt, il n’est pas infaillible, pas plus qu’elle ne l’est. Ses regrets, l’amour, qui a fini par causer la perte de sa tribu à protéger, une tribu qu’il aime toujours malgré les nombreux rejets de leur part. Elle se perd dans le regard du gaulois, partagée entre l’envie d’en finir et celle de lui venir en aide. Il veut les rassembler, il veut son aide. Elle ferme les yeux, au fond d’elle, la Morrigan sait très bien ce qu’il tente, lui donner une raison de vivre, d’être utile. Il n’est plus temps des vieilles querelles. La guerre est à nos portes, la mort d’un Dieu ne doit pas rester impuni.

Elle défait leurs mains pour venir poser la sienne sur sa joue, caresse du pouce la naissance de sa barbe. Cesse de t’en vouloir, pardonne-toi et les autres te pardonneront. L’amour n’est pas donné à tout le monde. Elle a connu l’amour, il y a si longtemps, un beau sentiment, mais l’amour blesse, il brise aussi les cœurs. Tu as payé assez cher les manipulations des autres, ta tribu a besoin de toi, mais elle ne le sait pas encore. Nous sommes nés pour la guerre, nous mourrons à la guerre. Oui, il obtient tout son soutien, pour ce qu’il vaut dans son état actuel. Son visage se glisse jusqu’au sien, ses lèvres à quelques centimètres des siennes, son regard fixé au sien. Ce n’est plus du réconfort dont elle a besoin tandis qu’elle rapproche paresseusement son corps au sien, plus froid à l’extérieur des couvertures. Séductrice, elle sait ce qu’elle veut, mais ne s’impose à lui dans ses souvenirs douloureux, elle lui laisse l’opportunité de s’y soustraire.

Elle se demande pour quelle raison il essaie ? Pourquoi vouloir la sauver ? Alors qu’elle est résignée, à mourir. Il le sait très bien, le ressent à travers son pouvoir. La déesse avait tout tenté pour se sauver elle-même de sa folie, mais l’arrivée du christianisme l’avait profondément affectée, lorsque les humains leur avaient tourné le dos au profit du Dieu Unique. Touchée dans son cœur, dans son ego, elle avait sombré et Chulainn avait dû se battre pour eux deux. Lui non plus, n’abandonne jamais.  Il n’a jamais été question de la laisser tomber, malgré tout ce qu’elle a fait, sa malédiction. Toutefois, elle sent les résolutions de ce dernier flancher ces derniers jours, depuis la Mort d’Odin. Auparavant, l’immortel n’avait pas d’autre choix que de se battre pour eux deux, mais désormais, il aperçoit sa fin dans la disparition d’un Dieu. La Morrigan ne saurait dire si sa propre résolution est de son fait uniquement, ou de l’influence du maudit.

Ne te préoccupe pas de mon mal Teutatès. Retrouver ma puissance d’antan serait dramatique que Chulainn ne saurait combattre. Nous avons trouvé un certain équilibre depuis que mes prophéties ont cessé, si elles me revenaient je perdrais toute raison, mais je sais toujours me battre. Une compétence acquise qui ne m’a jamais fait défaut. Elle est toutefois profondément touchée par l’espoir de son homologue gaulois, mais se sait condamnée. Si ses prophéties lui revenaient, elle n’aurait pas la clarté d’esprit nécessaire à l’interprétation de ces dernières et ne ferait que les induire en erreur, ou pire, à la Mort.

Ne me fais pas cette promesse, il n’existe nul remède pour mon cas. Tu souffrirais bien trop de ne pas avoir su m’aider, accepte ma décision et ce dernier combat, accepte ma protection, mon sacrifice si cela s’avère nécessaire. C’est ainsi, leur combat est ailleurs et doit être leur priorité à tous, pas son esprit. Même s’il en souffre déjà, elle l’aperçoit à travers ses prunelles. Tout est clair dans son esprit, elle sait parfaitement comment le faire agir, le moment venu il sera forcé de faire régner la justice. Si cette guerre n’a pas raison d’elle, si elle ne donne pas sa vie pour protéger l’un des siens, elle estime que ce sera à son camarade de chambre d’agir. Il lui offrira la mort, sa liberté.

Elle a conscience de l’ampleur d’un tel sacrifice, mais elle compte sur sa tribu pour lui donner une bonne raison d’avancer, tandis qu’elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. C’est lui, le dernier visage qu’elle veut voir avant de s’éteindre définitivement. Son adversaire le plus redoutable, un Dieu puissant, malgré ses erreurs, malgré l’amour. Qui peut se targuer d’être la perfection incarnée en ce monde ? Ou de ne pas vouloir reconnaître l’amour quand il le croise? Elle ne saurait dire avec précision la raison de cette confiance, cette Foi sans faille à son égard, le fait est qu’il en a toujours été ainsi. Probablement une vieille prophétie perdue dans son esprit. Cette nuit, elle lui laisse apercevoir cette confiance absolue sans pouvoir lui confier d’où vient sa certitude.

C’est là une erreur que de ne pas te pardonner, tu as suffisamment payé le prix avec ton isolement séculaire. Tu ne peux convaincre ta tribu si tu ne l’es pas toi-même Teutatès. Ton combat est soumis à double peine, convaincre ta tribu de te refaire confiance et les mener à la victoire contre cet ennemi mortel. La moindre erreur les condamnerait tous. Elle a été la femme du Père des irlandais et connait relativement bien les responsabilités de ces Dieux Pères, le doute n’est pas permis. Mais elle croise son regard et y reconnaît une résolution sans faille, il fera ce qu’il faut à n’en pas douter. Sans se pardonner l’erreur du passé, la faiblesse des sentiments et les lourdes conséquences sur sa tribu. Le Roi, le Guerrier, le Sage, des qualités primordiales, il s’y perdra.

Morrigan est une irlandaise, Teutatès un gaulois, ils sont différents et à la fois complémentaires par la force des choses. Ils ont été rivaux, alliés, ennemis, malgré tout, face à l’adversité ils ont toujours pu compter l’un sur l’autre. Quoi qu’il en soit, elle a toujours ressentit un profond respect pour Teutatès, un guerrier, elle ne le condamne pas pour être tombée amoureux, malgré les conséquences qui en ont résulté, dans ce cas là, elle se sent presque coupable et responsable de n’avoir pu prophétiser les événements et évité le pire. Alors non, elle ne le condamne pas.

Cela fait beaucoup d’émotions cette nuit, de la tristesse pour lui, qui ne parvient pas à avancer, qu’il ait envisagé le pire. Ce n’est pas elle qui a le plus besoin de réconfort alors qu’elle recherche le contact avec cet homme, pas seulement son affection, elle veut plus. Elle l’a toujours désiré, malgré les hauts et les bas, les confrontations, il est l’un des rares à pouvoir lui tenir tête, à respecter ses capacités de guerrière et ne pas juger qu’elle n’ait plus toute sa tête. Il l’accepte telle qu’elle est, entière, du moins ce qu’il en reste.

Cette proximité lui met les sens en ébullition, elle y aperçoit une opportunité de se donner à lui comme elle l’a maintes fois rêvée, espérée. Elle n’a pas besoin de mot pour qu’il comprenne enfin qu’elle le désire, qu’elle le veut tandis que son corps se rapproche plus encore du sien. Les regards se croisent, elle capte parfaitement le moment où il saisit ce qu’elle ressent vraiment et s’y laisse entraîner. Un sourire. Pas quand cela t’arrache un sourire. J'aime ton sourire. Ce n’est pas nouveau, elle a tendance à chaparder tout ce qu’elle trouve, un défaut de cette personnalité volatile et espiègle. Son corps tressaille lorsqu’il glisse ses mains sur sa peau nue, des mains froides en comparaison de sa peau chaude ensevelie sous les couvertures. Il ne tient qu’à toi de récupérer ta chemise. Le taquine-t-elle toute attentive sur ses mains qui parcourent son corps, il ne semble pas résister à son propre désir.

D’où lui vient cette soudaine envie de la sauver d’elle-même ? Aurait-elle provoqué les choses par son désir d’en finir ? Elle aperçoit la liberté, pas simplement l’exil dans le sidh en attendant de retrouver la force de revenir au monde. Étant donné sa facilité à se mettre en danger et sa participation aux guerres, la fréquence de ses visites dans le sidh étaient relativement fréquentes. Mais dans le fond, est-ce vraiment ce qu’elle veut, ou est-ce son compagnon qui le souhaite si ardemment ? Le fait est que la certitude s’est glissée au fil des jours depuis qu’ils savent que la Mort Véritable peut frapper sans prévenir, au point de ne pas pouvoir démêler duquel vient la décision.  

La façon dont il décrit la gloire passée de la déesse, par ses murmures dans l'obscurité, lui donne toutefois un regain d'énergie, d’espoir. De tristesse également, ses prophéties lui ont coûté son esprit, chaque prophétie lui retirait une partie de son discernement, se mélangeaient entre la réalité, le passé et le futur. Au point de ne plus savoir les interpréter lorsqu’ils en avaient le plus besoin, éveillant sa culpabilité. Dès lors, elle a sombré dans la démence. C’est désormais acquis depuis des siècles, Chulainn représente sa seule ancre en ce monde. Force est d’admettre qu’il avait la paix lorsqu’elle disparaissait dans le Sidh, il se ressourçait par la même. Mais elle, sur la terre comme dans le sidh sa folie l’empoisonne.

Je te reconnais bien là, prêt à tout pour ton peuple, si seulement ils pouvaient ouvrir les yeux et le voir, ne pas te condamner pour une… Je ne qualifierai pas l’amour d’erreur, ils ont tort de le faire. Si tu m’assures qu’elle a été autant manipulée que toi, je te crois, malheureusement tu paies davantage les conséquences qu’elle. La Morrigan est émue. Elle n’a jamais été capable de demander de l’aide, pas même à son mari, trop fière et orgueilleuse pour cela, ce qui ne signifie pas qu’elle n’en avait pas besoin. Personne, jusqu’ici, ne s’était proposé de lui-même pour trouver une solution. Elle aimerait tellement y croire, pouvoir retrouver cette puissance, mais est aussi partagée avec l’envie d’en finir. Elle ne veut pas de ses promesses, mais désire par-dessus tout y croire malgré tout, entrevoir une éclaircie, il instille le doute dans ses résolutions.  

Tu n’abandonnes jamais n’est-ce pas ? Elle se fait interrogative, mais c’est une promesse qu’elle cherche, qu’il ne l’abandonne pas. Ses pupilles rivées aux siennes, elle y cherche la réponse, celle de son cœur plus que de ses mots. Sa parole fait Loi en général, le Juge, le Père, ce n’est pas qu’elle doute de lui, c’est qu’elle a véritablement besoin de cette promesse, de s’y accrocher éperdument pour apercevoir un avenir. Pas seulement retrouver sa puissance, ses pouvoirs, elle veut retrouver sa confiance, revoir la crainte dans le regard des hommes qui l'observaient, et même de certains Dieux, qu’ils la supplient de les épargner ou la prient de partager sa force. Combattre à leurs côtés en toute connaissance de cause, qu’ils sachent exactement de quel côté se situe la déesse, qu’ils l’acclament haut et fort et partagent leur amour de la guerre.

Elle cherche tout cela dans le regard de son compagnon de lit, son pouce caresse doucement la barbe naissance de sa joue. Savoir qu’il a autant de considération à son égard qu’envers ses propres frères a de quoi redorer sa fierté. Il la tance sur le vol de sa chemise, mais elle sait bien que ça ne le dérange pas plus que ça, il en sourit et elle sait à ce moment précis qu'elle cherchera à le faire sourire plus souvent tant que leur rivalité sera mise de côté pour réunir les leurs. Applique toi bien à le faire alors et me tenir au chaud aussi bien qu’elle le fait. Qu’elle répond avec un brin de provocation dans son murmure.



Merci. Je suis désolée. Se désole de déjà gâcher ce moment, son visage caché dans le creux de son cou, alors qu’elle sent la félicité s’éloigner pour laisser sa folie reprendre ses droits. Déjà la déchirure. Puis, la fureur. Celle de Chulainn. Sa frustration, sa colère, sa lassitude. A ce moment précis, elle n’est déjà plus maîtresse d’elle-même, le regard voilé. Un soupir déchirant. Qu’avez-vous découvert ?