Erik Christensen - Une seule croyance, la croyance de l'homme

La clé dans la serrure de son appartement, il poussa alors la porte et un léger soupire de soulagement maintenant qu'il était là. Le silence était prenant dans le logement, et bien qu'il voyait une légèrement lumière passer sous le battant du salon, il n'osa pas faire un bruit, et avança le plus discrètement possible. Il posa ses affaires dans le hall d'entrée, retira ses chaussures avant de rejoindre la pièce illuminée sur la pointe des pieds, c'était ainsi quand on habitait un appartement ancien avec un charmant parquet à la française mais qui ne manquait pas de craquer à chaque fois qu'on venait à poser le pied dessus, c'était presque devenu un jeu d'équilibriste pour lui, le soir quand il venait à rentrer tard, ce qui devenait de plus en plus régulier malheureusement ses derniers temps. Il ferma un instant les yeux alors qu'il passait le seuil et il imagina un bref moment qu'il allait retrouver son épouse allongée sur le canapé, profondément endormie, un livre à terre qu'elle avait fini par lâcher et une main posée sur son ventre arrondi, signe de leur amour commun et de ce qu'ils avaient fait ensemble. Mais ce souvenir fugace vint presque immédiatement s'effacer et il rouvrit alors les yeux, observant alors la baby-sitter, accrochée à son téléphone portable dans la main. Elle était tellement plongée dans la vidéo qu'elle était en train de regarder, qu'elle n'avait même pas fait attention à son arrivée. Sans doute qu'Erik aurait pu lui dire de nombreuses choses sur les dangers d'Internet, un discours bien différent que ce que devait lui avoir dit ses propres parents quand ils venaient à la reprendre le soir au dîner alors qu'elle ne quittait toujours pas cet objet du diable. Il toussota et elle vint finalement à relever la tête pour l'observer avec une certaine surprise. « Monsieur Christensen… Je ne ... » Il hocha la tête et fit quelques pas vers elle, croisant alors les bras sur sa poitrine. « M'avais pas entendu arriver ! T'inquiète j'ai l'habitude, alors qu'elle est la dernière vidéo qui t'a tant obsédé ? Encore une de ces Kardashian qui n'a pas la moindre notion de ce que veut dire intimité. » Elle leva les yeux au ciel, avant de se reprendre quelque peu puisqu'elle n'avait pas son père en face d'elle, mais son employeur occasionnel qui la payait plus que nécessaire pour les quelques heures qu'elle passait en compagnie de l'enfant. « Il s'est endormi il y a longtemps ? » Elle hocha la tête tout en se relevant. « Il a pleuré, il y a une petite demi-heure, mais il s'est rapidement assoupi derrière. » Erik sourit légèrement avant de prendre son porte-feuille dans la poche arrière de son pantalon pour pouvoir payer la jeune fille pour son travail et il la raccompagna alors avant de fermer la porte et de se diriger vers la chambre de son fils. Il allait pénétrer dans la pièce quand il entendit quelques coups provenant du couloir d'entrée. Il fit alors rapidement demi-tour, venant à tourner le verrou, prêt à ouvrir la bouche pour pouvoir demander ce qu'elle avait pu oublier quand il se rendit compte que ce n'était pas la nounou, mais c'était une personne bien plus importante que cela qui venait à se présenter chez elle.

« Ran … Qu'est-ce que tu fais ici ? » Dit-il avec un ton presque mordant. Elle lui adressa un sourire bienveillant, les yeux pétillants d'une joie difficile à contenir, et posa alors une main délicate sur sa joue, mais au lieu de ressentir une douce chaleur, celle-ci était toujours aussi fraîche que la mer de Norvège qui venait à border la ville de Trumse. Il n'y avait pas l'ombre d'une ride sur son visage parfait, sur ce visage qu'il avait tant aimé par le passé, qui lui avait apporté si souvent du réconfort et qui avait su à calmer ses peines d'enfance. Mais un jour, il avait compris le subterfuge, un jour, il avait fini par ouvrir les yeux sur la véritable identité de cette femme qui un jour avait été sa mère, et le suivant, elle n'était plus qu'une inconnue, une inconnue qui portrait les traits de ce pilier de son existence. « Tu ne peux pas m'appeler maman ! Ou bien Marianne… Cela ferait un peu plus naturel et un peu moins formel ! » Il haussa un sourcil, continuant à bloquer l'entrée de son appartement par sa haute stature, elle n'était pas la bienvenue ici et il comptait bien le lui faire remarquer. « Maman ? Je ne crois pas que tu mérites que j'emploie ce terme avec toi. Tu as tué ma mère, et ce n'est pas parce que tu continues à vivre en utilisant son corps, que je dois te considérer comme tel. Et pour ce qui est de Marianne, c'est ta nouvelle identité ?! » Elle continuait à sourire légèrement, bien qu'en l'observant attentivement, il voyait son regard devenir de plus en plus noir, comme si une tempête était en train de couver. « Cela fait bien plus français, tu ne crois pas ? Allez laisse moi entrer ! Tu ne vas pas me claquer la porte au nez et risquer que certains de tes voisins viennent à se poser des questions sur moi. » Il devait avouer qu'elle avait raison avec il fit alors un pas en arrière pour la laisser rentrer et la voir se diriger directement vers le salon. Il aurait pu être heureux, il aurait pu sincèrement être heureux de voir sa mère ici. Mais si cela avait été véritablement sa mère, elle aurait dit adieu depuis longtemps à ses beaux cheveux blonds pour une belle tignasse argentée, elle n'aurait pas eu un visage de porcelaine, le temps aurait fini par le marquer. Elle était aujourd'hui toujours aussi éblouissante, et même s'il avait fini par cohabiter avec elle, qu'il avait grandi à ses côtés, elle ne pourrait jamais remplacer celle qui l'avait mise au monde. Il n'avait jamais parlé de l'accord que sa mère avait passé avec la déesse alors qu'il n'avait qu'une dizaine d'années. Erik avait depuis bien longtemps compris que cela ne changerait rien au passé et à la conclusion tragique que cela avait eu sur leur existence à tous. Il avait compris l'engagement de sa mère dans la cause de la faune et la flore maritime, la préservation des mers et des océans était le combat de son existence et il n'était pas étonnant qu'elle finisse par nouer des liens avec une entité du passé qui partageait les mêmes valeurs que celle-ci. Ran avait été blessé lors d'une mission de sauvetage, le corps humain restait une faiblesse et elles avaient su s'entendre pour l'avenir. Erik était encore jeune, mais il avait vu son frère souffrir de la situation et ne plus s'arrêter à vivre dans une tourmente perpétuelle. Il avait ouvert les yeux de son cadet sur la réalité du monde, plongeant alors Erik dans une profonde colère noire, et venant alors à détester toutes formes de croyance. L'être humain ne pouvait croire qu'en lui. Ran avait pris la place de Thelma et Thelma s'était alors effacée, mais restant graver dans le cœur de ses enfants. Leur père était tombé malade quelques années après et il n'était resté plus qu'elle. Alors, dès qu'il avait pu, dès qu'il avait obtenu une chance de partir et de tout quitter, il avait saisi l'occasion de fuir en Amérique pour pouvoir commencer ses études universitaires. Mais le 11 septembre avait tout changé, ce jour-là, présent à New-York, il se trouvait dans le quartier de Manhattan quand les tours jumelles avaient été percutées de plein fouet par les avions. Il devait normalement retrouver une connaissance pour pouvoir prendre le petit-déjeuner avec elle en haut du World Trade Center, mais une panne dans le métro l'avait retardé, alors qu'elle était déjà là, à l'attendre.

Mais les Dieux, quel que soit le ou les noms qu'on leur donnait, n'avait nullement agis pour le genre humain. Ils avaient regardé le monde dérivé dans la folie et prendre un nouveau bain de sang pour des croyances excessives. Le divin était lâche, ne pensant qu'à sa propre situation et ne s'intéressant pas aux autres. Si l'être humain avait pu les créer, l'être humain pouvait également les détruire et si Erik avait décidé de s'engager dans l'armée pour venger des atrocités, en commettant d'autres atrocités. Il avait parcouru l'Irak ainsi que l'Afghanistan, il avait traqué les personnes qu'on lui avait demandé de traquer et avait tué ceux qui étaient ses cibles. Aucun dieu n'était venu les aider dans un sens comme dans l'autre et il n'avait pas non plus pensé que son âme viendrait à être condamné pour ses actes. Il répondait aux ordres qu'on lui avait donné jusqu'au jour où il avait été pris dans une embuscade et où il n'avait pas été possible de sauver sa peau face à l'ennemi. Une longue cicatrice marquait encore son flanc droit, bien qu'il avait fait en sorte de se faire tatouer à cet endroit-là pour pouvoir cacher la marque. Cette dernière avait alors chamboulé toute sa vie, et alors qu'il était encore en train de se remettre des événements à l'hôpital, on lui avait appris qu'il ne repartirait jamais sur le terrain des opérations et que l'armée des États-Unis lui rendait sa liberté. Le coup avait été violent, et la pilule réellement difficile à avaler. Cependant, il avait fait au mieux pour pouvoir assurer sa rééducation, et ensuite retrouver le contrôle de son existence. Il avait repris contact avec son frère, et il avait alors petit à petit passé les étapes pour pouvoir rentrer chez les décéides et se mettre pleinement au service de leur cause. En parallèle, il s'était ainsi réintégré dans la société en devenant garde du corps, passant des célébrités aux hommes politiques. Et c'était pendant une de ses missions à l'ambassade de France à Washington qu'il avait rencontré la femme qui allait remettre son existence en question et ses perspectives d'avenir également. Il l'avait suivi par amour jusqu'en France, et après avoir passé quelque temps dans la maison familiale de la jeune femme dans les vignes autour de Bordeaux, ils avaient fini par gagner la capitale, alors qu'elle venait d'obtenir un poste important à l'Assemblée nationale, et qu'il se remettait à travailler en tant que garde du corps. Ils s'étaient mariés, un mariage simple, un mariage civil, refusant une quelconque bénédiction divine pour cette union. Puis ils avaient fini par accueillir leur fils, leur petit Louis. Mais alors qu'il pensait qu'on lui laissait une chance de vivre auprès de sa femme et de son fils, celle-ci avait été retrouvé morte, tout juste un mois après la naissance de leur enfant non loin d'un club branché où elle avait passé la soirée, une soirée pour se détendre et fêter cette nouvelle arrivée avec ses amies. Il n'y avait pas de bon dieu, il n'y en avait que des mauvais, ils étaient tous mauvais, incapables de véritable compassion, de véritable amour pour ceux qu'ils exploitaient sans la moindre modération. Et ils viendraient tous à payer, un à un…

Erik continuait donc à observer cette femme, cette femme connue et inconnue, qui s'installait chez lui comme une reine, comme si elle était arrivée dans son domaine et qu'elle savait qu'elle avait une possibilité d'influence dans sa vie. « Alors Marianne, qu'est-ce que tu fais ici ? » Il lui parlait avec une acidité aucunement caché, la menace venant à faire trembler sa voix. « Je viens pour le premier anniversaire de mon petit-fils, tu ne crois quand même pas que j'allais manquer cela… D'ailleurs, je peux aller le voir. » Elle s'était déjà relevée, prête à prendre la direction du couloir pour pouvoir se diriger vers la chambre d'enfant. « Non ! » La réponse était tombée comme un couperet, et ne permettait pas de faire le moindre appel à la négociation. Elle s'approcha alors de lui, son sourire ayant bel et bien disparu cette fois. « Je m'installe ici à Paris, que tu le veuilles ou non. Et si je veux voir cet enfant, je le verrai, que tu sois d'accord ou non… J'ai des moyens qui te dépassent et il vaudrait mieux que tu coopères plutôt que l'inverse mon chéri. » Il lui attrapa le bras et l'emmena sans ménagement jusqu'à la porte d'entrée qu'il ouvrit avec une certaine brutalité avant de la faire sortir de chez lui. Il l'observa alors avec un sourire mauvais aux lèvres. « Louis n'aura jamais aucun lien avec toi, tu ne représentes rien pour lui et tu ne représenteras jamais rien pour lui.» Il jubila alors de la voir changer de couleur et vint alors à lui claquer la porte au nez. Verrouillant la porte, il se dirigea enfin dans la chambre de son fils et s'approcha doucement de lui, posant un délicat baiser sur son front. « Je serai toujours là pour toi mon fils … »

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