Rosaline Kolasi - A dive straight into hell

Le silence est encore présent dans la pièce, les premiers rayons du soleil viennent à percer doucement à travers les lourds rideaux. Elle n'ose plus bouger, elle n'ose plus faire un bruit, elle ne veut pas le réveil. Dans une démarche presque religieuse, elle écoute pensivement le doux sifflement de sa respiration, approche une main de ce corps qu'elle a tant de fois chéri, qu'elle a tant de fois détesté par ailleurs. Elle frôle alors d'un baiser délicat les lèvres de son amant, depuis de nombreux millénaires, déjà, ne pouvant se détacher de lui, n'étant jamais assez ivre de ses mots et de ses caresses, ils ne faisaient qu'un après tout et rien ne pourrait changer cela, même pas la mort. Tel un serment inviolable qu'ils avaient échangé l'un pour l'autre, il y a une éternité de cela, ils seraient toujours côte à côte, et elle était certaine que si l'un des deux venait à sombrer, l'autre ne pourrait survivre à sa chute. Il l'avait désiré ardemment, et elle avait fini par si brûler les ailes. Mais le regrettait-elle réellement après tout ce temps. Elle glissa tendrement une main sur la poitrine de son homme, cherchant à ressentir les battements réguliers de son corps contre sa paume. Le Roi des Enfers n'était qu'un monstre aux yeux des autres, mais elle avait réussi à voir son véritable visage. Il ne serait jamais un ange, il ne serait jamais totalement bon, mais il ne serait jamais non plus totalement mauvais. Pas avec elle en tout cas, ils s'étaient tous donnés l'un à l'autre, dans la promesse d'un amour éternel. Bien sûr, dans une autre vie, dans une autre croyance, les choses n'avaient pas été contées de la même façon. Elle était cette jeune fille naïve, à l'aube de sa jeunesse, vivant d'eau fraîche, de la senteur particulière des fleurs et d'une innocence plus que futile. Elle était née de l'union de Zeus et de Déméter, et sans doute que cette parentalité lui permettait alors de se croire au-dessus de tous les risques. À travers les âges, à travers les époques, les courants littéraires, beaucoup avaient voulu retranscrire l'histoire de l'enlèvement de Perséphone par le maître du monde souterrain Hadès. Il n'était pas question que la déesse s'exprime alors en des termes élogieux de cet événement particulièrement bouleversant, quelle femme pourrait aimer se faire enlever, séquestrer et si outrageusement manipuler sans que cela ne provoque une certaine colère chez elle, voir même une rage extrême contre son ravisseur. Sa mère avait bien tenté de faire mourir la terre et les hommes en contre-partie du retour de sa fille bien-aimée auprès d'elle, comptant sur le père de cette dernière pour pouvoir régler la situation au plus vite. Mais même Zeus savait que de s'en prendre à Hadès n'était pas dans son intérêt, ni dans celui de personne. Les graines de grenade des Enfers avaient fait le reste, après les avoir avalées, Perséphone était la propriété du seigneur obscur sans possibilité de retour à ce qu'elle connaissait auparavant. Pour autant, c'était l'amour d'Hadès pour elle qui leur avait permis de trouver un accord divin entre toutes les parties. Pendant le printemps et l'été, elle serait auprès de sa mère ; dès l'automne et jusqu'à la fin de l'hiver, elle retrouverait son royal époux dans le cœur infernal de la Terre. 


Perséphone en avait énormément voulu à son époux pour ses agissements, quoiqu'il puisse en dire, et même si elle avait fini par trouver un certain côté agréable à l'idée d'être l'objet de toutes ses obsessions, il aurait été sans doute bien plus simple qu'il vienne à lui faire une cours acharnée, lui offrant son lot de fleurs et de pierres précieuses pour le restant de ses jours avant qu'elle ne vienne à accepter de partager son existence avec lui. Elle s'était mise à l'aimer, à l'aimer aussi fort que le feu le plus ardent qui pouvait brûler au cœur même des Enfers, et une fois qu'elle lui avait confié son âme tout entière, elle n'avait plus jamais été tenté par un autre que lui, qu'il soit divin ou bien mortel. Et il le savait parfaitement. Perséphone ne l'avait plus quitté, malgré les épreuves qui avaient jalonné leurs existences et il y en avait eu de nombreuses. Le monde était en perpétuel changement, en perpétuel mouvement. Les Hommes avaient créé les Dieux, à moins que c'étaient les Dieux qui avaient créé les Hommes. Telle la question de la poule ou de l'œuf, l'un n'allait jamais sans l'autre, et l'un avait besoin de l'autre pour pouvoir vivre, ou parfois survivre. Il avait été facile à certains moments de suivre le mouvement, et de s'adapter à leurs nouvelles croyances, à leurs nouvelles espérances, à leurs nouvelles prières. L'éveil de leur conscience n'était pas toujours aussi flamboyant que l'on pouvait le dire, et sans grande recherche, une civilisation qui venait à supplanter une autre plus ancienne et en déclin avait pris le soin de reprendre les mêmes dieux, changeant quelques attributs, ajoutant quelques nouvelles fonctions et modifiant les noms pour pouvoir faire croire à une création inédite. Hadès et Perséphone avaient eu de nombreux visages en Étrurie, à la fin de l’Égypte Ptolémaïque, ou encore sous la puissante Rome. Mais tous ces visages ne changeaient rien à leur amour et à leur force. Les Hommes avaient besoin des Dieux, les Dieux avaient besoin des Hommes. Chacun était à sa place et elle n'avait jamais imaginé qu'un jour les choses puissent venir à changer. 


Mais le Dieu unique s'était alors montré comme étant la réponse à de nouveaux maux, poussant alors peu à peu à changer le statut des Olympiens qui avaient régné tant de temps sur l'Occident, tel un phare dans la nuit sombre de l'existence humaine, et qui avait été finalement englouti sous le poids d'une tempête bien trop forte, disparaissant alors dans les eaux claires de la Mer Méditerranée. Elle avait vu les hommes les dénoncer, les païens n'étaient plus les mêmes, ce nom étant donné à ceux qui dominaient une autre croyance, et alors de nombreux symboles de leur existence, de leur gloire, de leur pouvoir avait été détruit. Pierre après pierre, on les avait plongé dans l'oubli. Et l'humanité s'était soudainement mis en sommeil, forçant tout le monde a traversé un Moyen-Âge qu'elle estimait être plongé dans un profond obscurantisme. Beaucoup avaient eu à souffrir de l'abandon des hommes. D'une certaine façon, Perséphone avait tenu, car quoi que l'on puisse en dire, on continuait à prier pour que la terre soit fertile, pour que les saisons s'enchaînent ni trop sèches, ni trop rudes, de garder ce juste équilibre pour pouvoir espérer avoir de bonnes récoltes et de pouvoir vivre à la fin. Sans parler que son statut de Reine des Enfers était un privilège. Car si on avait toujours moqué son époux et le rôle qu'il avait à jouer, les charges qui venaient à peser sur lui, il était une vérité inébranlable. La mort faisait parti du cycle de la vie, il n'y avait jamais de repos éternel pour Hadès, ni Perséphone. Certes, le nombre de « clients » était bien moins important qu'avant, mais pour autant, on ne pouvait pas ignorer les appels des mourants et le service qu'on devait leur rendre après le trépas. Pour autant, c'est sans doute dans ce millénaire si sombre qu'il fut le plus dur pour Perséphone de ne pouvoir avoir à chérir un quelconque enfant. En devenant Reine des Enfers, elle n'avait jamais pensé que cela l'empêcherait un jour de concevoir un être bien vivant qui pourrait être le fruit de son amour pour son époux. Si elle pouvait aider la terre à être fertile, elle semblait incapable d'être un réceptacle pour une forme de vie quelle qu'elle soit. Les siècles s'étaient alors égrainés sans que jamais elle n'y parvienne, et si elle aimait profondément son époux, cela avait été une blessure intime, une blessure qui avait été longtemps secrète avant qu'elle ne vienne à exploser au visage de leur couple. Il n'en ressentait nullement le besoin, mais pour Perséphone il en était tout autrement. Elle avait un pied dans chaque univers, dans la vie comme dans la mort, déesse d'un renouveau certain, mais reine d'un lieu au rien ne poussait définitivement. Son cœur s'assombrit à cette période, se laissant aller parfois à de grandes mélancolies qui n'étaient pas sans répercussion sur l'humanité, bien qu'elle n'avait plus autant de pouvoirs et d'incidence sur le monde qu'au moment de ses heures de gloire. Il lui fallait trouver son phare dans son existence obscure. C'était une question de vie ou de mort.   
                                                                                                       

La Renaissance qu'avait connue l'Occident avait été autant une résurgence de l'humanité, qu'un goût d'extase entre les lèvres de la Reine des Enfers. Ils étaient à nouveau mis sur le devant de la scène, représentants d'une symbolique lointaine mais puissante, vénérés sur des tableaux, dans l'architecture, façonnés par les mains d'artiste. Ils redécouvraient leurs noms et leurs histoires fabuleuses, entre combats exceptionnels et amours impossibles. On leur donnait ainsi une nouvelle chance de briller aux yeux du monde entier. Hadès en avait profité, mais il était certain que Perséphone en avait profité bien plus encore que lui, ayant cette douce impression d'un retour à la vie. Elle avait utilisé bons nombres de moyens pour pouvoir parvenir à ses fins, des conversations délicieuses dans les plus beaux salons européens, à la poésie et au théâtre qu'on venait à dévorer comme un plaisant amusement et comme une divine comédie qui ne demandait qu'à être dévoré. Elle avait apprécié chaque minute, et en avait usé voir abusé jusqu'à la lie. Elle s'était sentie forte et sereine comme elle ne l'avait plus été depuis longtemps et ils avaient main dans la main occupés de nombreuses fonctions qui leur avaient permis de toucher le ciel, comme un pied de nez délicieux fait au Dieu Unique, qui avait plusieurs noms, plusieurs visages, mais pour lesquels les morts ne cessaient de croître grâce aux diverses guerres intestines. Il était certain que depuis l'Antiquité, Perséphone n'avait jamais autant profité de ce que l'humanité pouvait leur proposer. Ils firent leur temps sur le Vieux Continent, avant de tenter leur chance dans le Nouveau Monde, marquant une nouvelle page de leur histoire commune, à jamais uni contre le destin. Hadès avait été l'instigateur de nombreuses mouvances et Perséphone s'était fait un devoir d'être le visage bienveillant de ses entreprises. Ils avaient eu du succès, et c'était heureux et serein de ce qu'ils avaient construit là-bas qu'ils avaient repris la direction de Paris. 

De son identité humaine qu'elle s'était crée dans la ville lumière, elle était une jeune femme portant le doux prénom de Rosaline, en hommage à cette douce présence maternelle qui avait été fleuriste dans les quartiers de Nice et qui avait ainsi su séduire son époux qui venait chaque jour lui acheter un nouveau bouquet. Les deux s'étaient aimés et leur adorable fille avait fini par faire de brillantes études à la Sorbonne, notamment en langues étrangères. Elle avait alors rencontré celui qui allait devenir son époux et elle avait décidé de le suivre par amour partout où il irait. Ils avaient fait leur fortune, et Rosaline avait même pu alors s'implanter avec son restaurant « Le Cerbère » en plein cœur du Quartier Latin, un bâtiment de trois étages, comportant une brasserie parisienne au rez-de-chaussée, un restaurant gastronomique au premier avec une vue remarquable sur le quartier et d'un bar branché et tendance qui venait à assouvir les désirs de festivités des étudiants, et où parfois quelques graines infernales de grenade venaient à se retrouver dans les cocktails des insouciants. Elle aimait cette vie, mais elle l'aimait plus que tout encore, et elle était prête encore à partager les mille prochaines années à ses côtés. Pour le meilleur ou pour le pire.

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