La belle aux bois dormants

Doudou & Caraïbe

Vous savez quel est le problème quand on s'adonne au vice de la procrastination? C'est que tôt ou tard il faut bien affronter la tâche que l'on remettait au lendemain et en général c'est encore plus compliqué à faire que si on avait pris son courage à deux mains pour le faire en temps et en heure. Caraïbe était une experte en procrastination de renommée mondiale mais même elle fut bien obligée de faire face à ses obligations et donc ce jour-là elle eut nombre de rendez-vous pour mettre en ordre les affaires rapport à l'héritage et elle dut aussi passer dans la maison de ses grands-parents, enfin la sienne maintenant mais elle avait encore du mal à s'y faire, afin de faire du tri dans leurs affaires. Autant dire que la journée fut, sur le plan émotionnel, épuisante!

Ne se sentant pas en mesure de prendre la voiture et de rentrer à son appartement, Caraïbe décida de dormir sur place et après un léger repas qu'elle toucha à peine, elle prit une douche chaude, enfila un pyjama (ouais enfin ce qu'elle utilisait comme pyjama à savoir un débardeur noir et un short noir) et se glissa dans son lit (bah ouais elle avait sa propre chambre dans la maison familiale quand même!).

Malheureusement pour elle le sommeil ne lui apporta ni réconfort ni oubli vu que ses défunts lui firent une amicale petite visite dans ses rêves. Amicale, ouais… Non mais c'était pas déjà suffisant de se faire tuer qu'il fallait qu'en plus qu'ils la hantent dans le seul moment où elle pouvait penser à autre chose qu'à eux?! Ahlala j'vous jure! Ces morts, AUCUN savoir-vivre. Elle paraissait pourtant dormir paisiblement… La pauvre!

Notre amie Caraïbe se réveilla en sursaut, le cœur battant, persuadée d'avoir entendu un bruit dans sa chambre. Et pour un peu elle faillit clamser d'un arrêt cardiaque! Près d'elle se tenait Bonne-Maman de Rochebrune, oui oui celle-là même qui était morte. Main sur la poitrine, bouche grande ouverte, incapable de dire le moindre mot, Caraïbe la regarda les yeux écarquillés, avant de jeter un œil autour d'elle: OH BORDEL DE DIEU! Dans le fond de la pièce se tenaient son père et son frère…

La demoiselle ferma les yeux, se passa une main dans les cheveux et se frotta les yeux avant de regarder à nouveau à côté d'elle: Bonne-Maman était toujours là.

-Bonne…Bonne-Maman? Balbutia-t-elle. –No puede ser, debo de estar soñando… Marmonna-t-elle tout en regardant à nouveau son père et son frère. –Papa? Louis? Mais…Je rêve c'est ça? Vous ne pouvez pas être réels… Les fantômes n'existent pas…Il… Il a dit que lorsque l'on meurt on disparaît… Il a dit que les humains ne se réincarnent pas…Il a dit que… …Vous…

Elle sentit les larmes lui monter aux yeux et avait la sensation de devenir folle.

-Tu n'es pas là Bonne-Maman…Je deviens folle c'est tout… Et pourtant j'ai tellement envie que vous soyez là… Vous me manquez terriblement si vous saviez…

Doudou & Caraïbe

Ce fut comme si le monde s’ouvrait sous ses pieds pour l’aspirer vers un Enfer où elle n’aurait plus été capable de distinguer la vérité du mensonge, de savoir en qui elle pouvait avoir confiance ou non… Elle qui avait pourtant du mal à faire confiance aux inconnus, à s’ouvrir à eux (et nous ne parlons pas du sexe hein ? Rien à voir !) pour les laisser pénétrer dans sa vie, avait cru en Esus, en ce qu’il lui disait depuis le moment où il lui avait dévoiler être un dieu celte. Elle lui avait parlé de son père, elle ne parlait que très rarement de lui, elle lui avait dévoilé la pire blessure meurtrissant son âme et alors qu’elle avait eu l’espoir, en découvrant que le monde n’était pas tel qu’il semblait, que peut-être elle pourrait revoir son père. Lorsque Louis et ses grands-parents étaient mort c’était comme si sa vie entière avait sombré dans le désespoir et les idées noires… Et voilà qu’en fait… Pourquoi Esus lui aurait-il menti à ce sujet ? Avait-il seulement menti ?

Bonne-Maman la serrant fort contre elle, ce qu’elle ne faisait presque jamais de son vivant, était pourtant une preuve tangible qu’Esus n’était qu’un fieffé menteur, un salaud de première ! Caraïbe ferma ses yeux emplis de larmes et se laissa aller à l’étreinte, passant ses bras autour de la vieille femme, ce qui fit bouger son débardeur sans qu’elle ne s’en rende compte, dévoilant un peu plus de chaire qu’il n’était nécessaire.

Les larmes coulaient légèrement le long de ses joues lorsqu’elle se recula pour regarder à nouveau sa grand-mère, ayant encore du mal à croire qu’elle était là. Cette dernière prit son visage entre ses mains et Caraïbe ne pouvait détacher son regard du sien.

-Je… Tu…Vous…  

Attendez…ATTENDEZ ! Est-ce que ça signifiait que… ? NAN ?! Ils n’auraient pas osé faire ça quand même ? Horrifiée la jeune femme échappa à l’étreinte de sa grand-mère pour recouvrir son corps du draps de son lit, comme si soudainement elle s’était retrouvée nue devant eux.

-Vous… Vous savez pour Esus ? Vous nous avez espionnés ?

Non parce que si jamais ils les avaient reluqués pendant qu’ils s’envoyaient en l’air… BORDEL ! Mais elle avait baisé avec lui au bout de quoi ? Cinq minutes ? Dans les chiottes de la bibliothèque… Ah non non ! Ils avaient pas violé son intimité de cette façon quand même ?!

-Tu… Tu connais Esus, Bonne-Maman ? Il… Il n’est pas digne de confiance, c’est ça ? Je… Il m’avait pourtant fait bonne impression…

Elle releva son regard toujours larmoyant vers son père, Donatien, ainsi que son frère Louis.

-Vous me manquez tellement, c’est comme si j’avais perdu une partie de mon âme. Louis, Bonne-Maman… J’ai besoin de savoir… Est-ce que la police a dit vrai ? Avez-vous brûlé vifs après l’accident de voiture ou… ou avez-vous eu la chance de mourir sur le coup ?

La question qui torture psychologiquement et dont la réponse n’apporte, de toute façon, que plus de souffrance.

-Pourquoi m’a-t-il menti, Bonne-Maman ? Pourquoi Esus m’a-t-il dit que lorsque l’on meurt c’est définitif, que l’on disparaît complètement ? Vous êtes là devant moi, et je peux te toucher, sentir ton parfum… Je… Je ne comprends pas pourquoi il m’a prise pour une conne… Ça pouvait même pas être pour me fiche dans son lit c’était déjà fait, merde !

La jeune femme rougit et s’excusa envers sa grand-mère. De son vivant elle n’aimait pas aborder des sujets tels que la vie sexuelle des gens, bien trop intime, indiscret et indécent comme sujet de conversation et qui de plus détestait que les gros mots !

Doudou & Caraïbe

Notre pauvre amie Caraïbe était devenue aussi pale qu’un fantôme au fur et à mesure que se déroulait la conversation avec sa grand-mère car lorsque cette dernière lui expliqua qu’ils ne la quittaient jamais et qu’il y avait des choses dont ils se seraient bien passés la pauvre jeune femme imagina les fantômes de ses morts occupés à la regarder, l’air gêné, tandis qu’elle s’adonnait aux plaisirs de la chaire…Surtout qu’avec Esus, ils auraient pu prétendre à finir dans un petit film amateur porno…

Mais.bordel.de.dieu.de.putain.de.merde ! Non, non, non, non, non ne comptez certes pas sur elle pour demander à sa Bonne-Maman si collet-montée au point qu’on avait du mal à imaginer qu’elle eut une vie sexuelle dans sa jeunesse et comment elle avait bien pu faire pour concevoir son héritier, Donatien, le père de Caraïbe. Des images de ses rencontres torrides avec Esus passèrent par la tête de la pauvre bibliothécaire…Si sa grand-mère avait vu ça… MAIS AUTANT DEVENIR NONNE ! Non parce que de son vivant Bonne-Maman savait pertinemment que Caraïbe était loin d’être vierge et qu’elle n’avait aucune préférence marquée pour un sexe ou l’autre (et bon sang ce qu’elle avait eu du mal à accepter que sa petite-fille puisse aimer les femmes et peut-être un jour lointain se maquer définitivement avec un membre du sexe faible) et même si elle n’approuvait pas la conduite libre de Caraïbe, bien indigne d’une de Rochebrune (et pourtant les mâles de la famille ne s’en étaient jamais vraiment privés tout au long de l’histoire de la famille jusqu’à récemment…) elle fermait les yeux tant qu’elle restait discrète… Mais là…LÀ !

Bonne-Maman brisa leur étreinte en éloignant brièvement sa petite-fille d’elle pour la regarder l’air sévère tandis qu’elle lui faisait…eh bien oui, une leçon de morale quant à Esus et ses frères. Frangins que Caraïbe, soit dit en passant, n’avait pas rencontrés. Et à entendre sa grand-mère, notre pauvre petite-chose influençable, n’eut plus aucune envie de jamais ne serait-ce que les croiser. Sans se douter d’ailleurs que c’était déjà fait depuis belle lurette mais qu’importe… Quand sa grand-mère la reprit contre elle CaraÏbe ferma les yeux, passant ses bras dans le dos de son ancêtre afin de la serrer davantage, se foutant comme de l’an 40 d’écraser ses seins sur ceux de la vieille dame.

Mais pourquoi diable avait-elle ressenti le besoin de poser cette foutue question ? Mieux valait le doute et se poser la question que d’avoir une certitude et cette façon de répondre sans vraiment apporter de réponse était clairement une confirmation des pires craintes de la jeune femme. Son regard s’empli de larmes alors qu’elle regardait le visage de Bonne-Maman. Elle étouffait, elle avait besoin d’air…Pour un peu elle pouvait les voir, coincés dans la carcasse de la voiture, incapable de sortir de cet enfer de flammes et de fumée, toussant, sentant le feu se rapprocher, la chaleur étouffante… La peur. L’agonie. Les flammes qui dévoraient leurs corps. Elle ferma les yeux, portant les mains à sa tête, dans les cheveux, contre ses oreilles comme pour ne plus entendre les hurlements qu’ils poussaient tous trois alors qu’ils résonnaient dans sa tête. Ils étaient morts en souffrant. Comme si la perte de ce fils adoré, de ce père chéri, n’avait pas déjà été assez cruelle épreuve… Ils n’avaient même pas eu droit à une mort sans douleur…

Sur ses paupières fermées elle voyait la scène comme si elle y avait assisté, incrustée dans ses rétines, sans espoir de jamais oublier cette image qui allait la hanter encore longtemps. Elle était tellement… tellement quoi ? Quel mot pourrait qualifier ce qu’elle ressentait alors ? Cette douleur, ce désespoir, ce chagrin, ce sentiment de solitude, cette peur, l’impression de devenir folle car elle avait accordé sa confiance à qui n’en était pas digne. Et elle recommencerait, encore… Influençable et naïve, son destin était de souffrir jusqu’à la Mort, qu’elle accueillerait alors sans crainte, avec soulagement, comme une vieille amie que l’on a perdu de vue tout en sachant qu’on la retrouvait le moment voulu…

-Mais pourquoi moi, précisément, Bonne-Maman ? Des femmes bien plus belles que moi ce n’est pas ce qu’il manque dans ce vaste monde… Que feraient-ils d’une jolie fille mais athée et incapable de se vouer au culte d’un dieu, quand bien même elle serait convaincue de son existence ? Je… Je ne comprends pas, je n’ai rien d’exceptionnel moi… Murmura-t-elle, baissant brièvement les yeux, tentant par-là de chasser de ses pensées les images des cadavres calcinés des membres de sa famille. Que c’était dur !

Elle réussit néanmoins à esquisser l’ombre d’un sourire quand Bonne-Maman lui déclara qu’elle méritait mieux et qu’elle lui demanda si aucun autre homme à part Esus ne lui plaisait. Caraïbe fronça les sourcils, ferma les yeux, se frotta les paupières et reporta à nouveau son regard sur sa grand-mère qui lui faisait toujours face. Elle avait cru…L’espace d’un instant… D’un bref instant… Non ce n’était pas possible, elle avait dû halluciner. Ou alors son petit cerveau avait-il envie de lui faire savoir que… ? Oui bon elle fantasmait un peu dessus, oui bon d’accord beaucoup parce qu’il faut avouer qu’il était sexy en diable non de non ! Mais… Mais c’était un homme trop en vue quoi ! Encore jeune pour la fonction, trop canon pour celle-ci d’ailleurs, on l’aurait plutôt imaginé posant en sous-vêtements dans des magazines et… et bon sang voilà que les joues de Caraïbe devinrent rouges tandis qu’elle avait imaginé l’homme en question… Ah oui ! QUI ? Hé bien le ministre de l’Intérieur pardi ! Edouard de Villiers. Non mais avouez quand même que pour un homme politique il était physiquement parfait ! Pas à la portée de Caraïbe, ça c’était sûr et certain !  Et puis lorsqu’ils s’étaient rencontrés il n’avait pas eu le moindre petit regard, geste ou mot laissant à croire qu’elle pouvait être à son goût, alors ses fantasmes oust oubliés.

Mais quoi ? Oui ! Caraïbe avait beaucoup de fantasmes, et après ? Traitez-la de putain si cela vous chante mais au moins ne faisait-elle de mal à personne à vivre de la sorte… Oui bon la donne avait un peu changé depuis quelques temps…

-Oublierais-tu Alexandre, Bonne-Maman ? Demanda-t-elle à celle qu’elle prenait pour sa grand-mère, un fantôme la suivant de partout. -Il est très différent physiquement de monsieur de Villiers, d’accord et notre relation n’en est pas vraiment une mais… Je crois que je m’attache tu sais… Oui je crois bien que j’en suis amoureuse… Ce qui est complètement fou parce qu’on a pas ce qu’on peut appeler une relation exclusive, on a même pas définit ce que l’on est mais le fait est que… Il me plaît énormément, Bonne-Maman, je suis bien avec lui, je me sens à l’aise en sa compagnie, bien dans ses bras et… Elle baissa le regard comme ennuyée de faire cette confidence. -Quand il n’est pas là il me manque, j’ai envie de le voir tout le temps… C’est fou, tu ne trouves pas ?


La vie de Caraïbe, toujours d'une simplicité à faire palir d'envie n'importe qui!