Lux Umbra Deus

Ils ont toujours été là. D’aussi loin que remonte la mémoire de l’Homme et même au-delà, on a toujours retrouvé leurs traces dans les sillons de l’Humanité. Parfois sur des peintures rupestres, ou dans le fil parfois distendu et déformé des légendes. Tous les peuples de la Terre ont déjà cru. Ils ont parfois mis tous leurs espoirs dans des dieux du ciel et de la terre, parfois dans des éléments naturels, des animaux, transfigurant le divin en figures bestiales ou en courant dans le vent balayant le monde.

Depuis toujours, ils sont en lutte pour la renommée, l’amour et la crainte de ceux qui les ont fait naître. Les polythéismes ont chassé les animismes. Tous ont eu leur heure de gloire, à tour de rôle, dans des mêlées sanglantes et cataclysmiques où les âmes des mortels furent moissonnées, offertes en sacrifice aux appétits béants guidant les premiers immortels de ce monde. On a érigé des temples pour eux, et nombre de sites de grande beauté furent déclarés sacrés.

Les Polythéistes ont été chassés à leur tour par les desseins d’un grand talent, d’un plan aux ramifications millénaires qui visait la domination du monde. L’Unique les a tous supplantés, écrasés, par la puissance de ses multitudes. Les monothéistes ont balayé par le fer et par le feu toutes les religions du monde. Beaucoup ont purement et simplement disparu, d’autres ont été battues et assimilées, divins du passé ralliant Dieu tout-puissant pour renforcer ses légions d’anges et de démons, assimilés à ses mythes et ses légendes. Pendant longtemps, le monde vécut majoritairement sous sa coupe. Une forme de statu quo était imposée. Les divinités du passé ou les quelques émergentes vivotaient de leurs rares fidèles et en adoptant un profil bas, évitaient les guerres, les inquisitions et les conflits sans pitié dont l’Unique était si souvent ressorti vainqueur.

Au fil du temps toutefois, le monopole du Dieu Unique était insidieusement remis en cause par l’avènement de nouveaux dieux de la modernité, qui infiltraient en silence tous les foyers par le biais de tous les piliers de ce nouveau monde ; communications, monnaies, technologies…  Le monde vit les décennies passer et le pouvoir des Nouveaux Dieux lentement supplanter celui de l’Unique. Pas de guerre. Une tranquille transition, porteur pourtant des germes d’une nouvelle phase de lutte pour la conquête de l’âme des Hommes.

Ce fragile équilibre qui perdurait fut brisé, car un dieu fut tué.

Il n’y eu ni déclaration de guerre ni tempête destructrice, rien qui ne pouvait mener à une piste probante. Odin avait été abattu par quelqu’un qu’il connaissait, quelqu’un qui l’avait frappé de sa propre lance. Rien ne pouvait plus interrompre les réactions en chaîne, des déflagrations qui ébranlèrent les équilibres du monde. Cela commença par les divinités du passé, toujours promptes à la guerre et à la vengeance. Guerriers et magiciens de jadis, celtes et nordiques, slaves et greco-romains, incas et japonais, aux prises les uns avec les autres au gré des alliances contractées. L’Unique et ses envoyés formaient avec les Nouveaux Dieux une alliance pour assurer leur suprématie définitive sur l’Humanité. La puissance de la religion monothéiste, véhiculée par tous les moyens des divinités modernes, chacun se nourrissant de la Foi émanant des milliards d’êtres humains ainsi atteints.

Des dieux continuèrent pourtant de mourir. Les uns après les autres. Chez les mortels, les réseaux pullulaient de vidéos, de témoignages. La rumeur grandissait sans cesse. Des attentats, des violences entre croyants de religions différentes. Des gens qui se battaient à coups d’éclairs, de flammes, d’éléments déchainés en scandant leur nom dans des langues depuis longtemps disparues. Des noms revenaient, sans cesse. Thor, Loki, Teutatès, Morrigan, Artémis ou Zeus. Des dizaines d’autres. A leurs côtés se tenaient des créatures de légende pourtant bel et bien incarnées sous les yeux des mortels ; banshees, valkyries, oupyrs ou djinns.

Les Tueurs de Dieux à l’action depuis des mois se savaient condamnés par la publicité grandissante de leur action. Ils se vouaient depuis des siècles à libérer l’Homme des chaînes de sa conscience, qui le forçaient depuis toujours à croire et à placer sa vie dans d’autres mains que les siennes. Cernés, minés par les trahisons et les dissensions, les Déicides passèrent une dernière fois à l’acte. Une dizaine d’entre eux, parmi l’élite de l’organisation, s’en pris à un chef d’entreprise d’énergies renouvelables, somme toute banal en apparence.

Le monde entier vit bientôt le commando attaquer les bureaux de la société et l’endroit ravagé par une tempête d’éclairs. La foudre frappait le bâtiment en des dizaines d’endroits, faisant voler les fenêtres en éclats et dispersant les corps humains comme des fétus de paille. Sur les caméras corporelles diffusant en direct l’attaque, on vit le corps d’une jeune femme blonde accrochée, cramponnée à une épée antique et pourtant intacte, passée en travers du corps d’un homme. Celui-ci vivait toujours. Des éclairs crépitaient dans ses yeux bleus, et d’un puissant cri de rage, pulvérisait toute la zone d’activité d’une terrible déflagration.

Le monde prenait conscience que ses prières trouvaient résonance dans tous ces divins qui avaient toujours existé, qui se mêlaient à eux depuis des millénaires. L’Humanité se rappelait à sa propre conscience collective ; elle n’avait jamais cessé de croire.

Toutes les légendes du monde n’étaient que des vérités oubliées.

Le Chaos s’empara alors du monde.