Le tueur blondy

- Je ne savais pas qu’un cours de modèle vivant sous-entendant un modèle à nu, souffle mon amie.

J’écoute, étouffant un rire à chaque nouveau détail qu’elle m’offre. Unique fille dans ce cours, elle se serait sentie assez marginale ou intruse dans l’affaire. Sa bêtise monte d’un cran lorsqu’elle tente d’engager la conversation avec son voisin. La pauvre fille n’a pas trouvé meilleure phrase d’accroche que celle-ci « Oh, ca va, il ne fait pas très chaud dans cette pièce ». Son interlocuteur indique qu’il ne partage pas son avis. Candide, la petite surenchérit avec force, soutenant qu’il fait bien meilleur que l’extérieur. Ce n’est qu’à la fin de son cours, qu’elle percute à cette potentielle vérité :  certaines personnes sont assez jeunes, ou tout bonnement très amoureux des formes féminines, et que le modèle nu peut avoir chauffer un peu les sens.

- Est-ce que c’est grave si on a trouvé le cours intéressant ? me demande-t-elle.

Ayant fait des études en psychologie et des stages dans des cabinets psychiatriques, mon entourage et mes amis me considèrent de facto comme un professionnel de la santé mentale. Je ne compte pas le nombre de fois où l’on m’appelle, ou m’interroge, pour littéralement tout et rien. Certains aiment parler franchement, là où d’autres font appel à mille et un sous-entendus. S’il existe des cas intéressants, la majorité se cantonne à des problématiques « classiques », ou « traditionnelles », comme la monotonie, l’ennuie ou le burn-out professionnel – ou burn-out suite à quelques événements brutaux au cours de la vie.

- T’as dis quoi, déjà ?

J’avoue : je mens. J’ai très bien entendu sa question, mais je ne veux pas lui répondre. La raison première pour laquelle que je me la coltine est son étrange hobby. Elle voue un culte presque malsain pour toutes créatures ou monstres suceurs de sang dans les folklores européens ou américains. Depuis qu’elle a lu Dracula de Bram Stoker, elle a collectionné une impressionnante collection de faits divers et d’histoires liés de près ou de loin aux vampires – ou équivalent. Quant on vit davantage de nuit que de jour, et qu’on prêche une religion polythéiste, on rencontre beaucoup de profils atypiques, allant du simple barman dragueur à la détraquée du surnaturel.

- Tu es sûr qu’on est au bon endroit ? la questionnais-je davantage.
- Ouais ! C’est le lieu favori des vampires. Il y a souvent des cas de morsures, m’assure-t-elle, entre deux boums et deux shots qui circulent dans cette boite bruyante.  

Je cache habilement ma consternation.

Qu’est-ce que je recherche, concrètement ? Un tueur qui a failli avoir ma peau, dans une forêt polonaise. Ai-je récemment perdu la tête ? Il semble que oui. Si j’étais plus ou moins en pleine possession de mes moyens lors de notre rencontre, là j’ai une épaule blessée que je ne peux pas bouger sans souffrir le martyr – et sous quelques médicaments assez lourds. Est-ce que je devrais plutôt chercher l’hôpital psychiatrique le plus luxueux et le plus confortable ? Carrément !

Et puis, je repense à ce nouvel objectif que je me suis imposée, et l’ambition flambe toute trace de peur ou d’hésitation. Il est nécessaire de faire quelques sacrifices, quand on veut devenir une immortelle.

Je ne vois rien d’anormal, ou d’étrange, si ce n’est les mêmes scènes nocturnes : des corps suants collés, des promesses vaines susurrées, des baisers fiévreux échangés et d’innombrables lumières brouillant et encombrant les sens. Est-ce une nouvelle nuit gâchée, à courir une chimère dangereuse, dans un établissement bruyant quelconque ? Lasse, je suis prête à m’éclipser et à chercher le réconfort de mon petit appartement – à moins que je ne cherche un compagnon d’un soir.

Subitement, l’atmosphère change. Je le sens. Mes soupçons se confirment lorsque je me retourne et me retrouver nez-à-nez avec le cauchemar. Malgré moi, j’ai un mouvement de reculs – de dégout et de peur à la fois. Je me mords aussitôt la langue, agacée d’avoir montré une quelconque faiblesse à cette chose ! Je me ressaisis au mieux, ignorant au mieux cette lueur gloutonne dans ses prunelles ou ces canines acérées ayant déjà posé leurs marques sur moi …

- Vous avez une drôle de façon de traiter vos amis. J’en ai gardé la marque durant de nombreuses semaines. , répondis-je, étonnée moi-même par les mots employés par l’inconnu. Instinctivement, je me suis alignée à lui. Quelle affaire est en suspens, exactement ? Vous ne ferez rien, ici. Et je fuirais, encore, le mis-je au défi d’une voix maitrisée et tranchante.

Nous ne devenons pas Gourou d’une secte sans un soupçon de contrôle de soi. Entre les interrogatoires malaisantes de la police, les délires, questions paranoïaques ou expériences traumatisantes des membres, les menaces de groupes religieux extrémistes et, enfin, les mille et une questions d’une presse opaque, soit nous sommes écrasés par la pression, soit nous apprenons à y faire face.

- A moins que l’affaire m’apporte autre chose que de saigner comme un porc dans un coin de rue.

La pierre est lancée dans le lac. J’attends de voir ce qu’il va en sortir. Est-ce des conséquences multiples ? Est-ce un serpent dérangé dans son sommeil ? Est-ce un poisson gigantesque gourmand ? A moins que je n’aie droit au Loch Ness !

- Les Vampires sont une invention slave. Vous etes sensibles aux choses selon les critères de cette population, et non selon les critères du panthéon monothéiste. Ai-je raison, ou tort ? A moins que vous ne soyez autre chose. Un Dieu, peut-être.

Une seconde pierre est lancée. Celle-ci est plus franche et plus lourde. Lui, l’attaque des Halles, le concert… tant d’événements étranges ne peuvent pas se cumuler par hasard. J’ai fini par accepter le surnaturel, et l’existence du divin et de créatures, et de considérer d’un tout autre œil tous ces récits d’enfance racontés et répétés par ma mère, Nyx, ou mon père. Alors, oui, j’ai fouillé dans les tréfonds des bibliothèques et archives pour démêler le vrai du faux et trouver tout lien avec des créatures – ou divinités - suceuses de sang. Malheureusement, elles sont légion. J’ai eu à porter mon dévolu sur l’évidence, le premier choix de la bonne européenne que je suis.