Jingle Bells !

Fille de la Nuit et Gourou d’une secte qui rejetait les principes monothéistes et rigides de l’Unique, Oyrania n’avait jamais célébré la naissance de l’enfant de ce Dernier. Pourtant, elle était aussi excitée et aussi impatiente que le commun des mortels à la perspective que la fin de l’année approchait. Pour la fausse blondinette, la période s’étendant du 24 décembre au 01 janvier n’était qu’une suite de fêtes peuplées d’âmes esseulées, athées ou peu croyantes, où l’alcool coulait à flot et où la débauche régnait en maître – en opposition parfaite à tous les codes et règles imposés par cette sainte nuit chrétienne.

Cette nuit ne faisait pas exception aux précédentes. Si elles avaient commencé leur soirée avec deux types plus ou moins de leurs âges et qui n’avaient pas des airs de sociopathes ou pervers pathologiques, leur soirée avait pris un tournant inattendu à l’instant où elles avaient englouti le verre en trop, celle qui vous fait basculer de l’ivresse joyeuse mais maîtrisée à l’ivresse toujours joyeuse mais complètement hors de contrôle de toute raison et de toute règle. Voilà qu’elles sillonnaient les rues de Paris avec deux parfaits inconnus d’âge mûr, bras dessus, bras dessous. Son voisin de gauche était un costaud intimidant avec ses allures de bucheron. Son voisin de droite était un gringalet en comparaison dont les mains ne cessaient pas de se balader – et qu’il fallait toujours replacer un peu plus haut, dans le dos.

- Minuit ! Faut chanter Petit Papa Noël ! annonce son voisin de droite, le gringalet aux mains baladeuses.
- Mais non ! On ne peut pas … parce que Coca Cola !

Ayant perdu toute perception de la réalité, elle était persuadée d’avoir offert un argumentaire des plus solides sur la futilité des chansons de Noël, impliquant la stratégie marketing de Coca Cola ou l’assimilation de cette figure imaginaire à un idole américain inexistant. Le type répond par monosyllabe ou par des phrasées tout aussi incohérentes, mais qu’elle interprète comme un contre argument solide. Elle cède. Elle chante.

- Petit Papa Noël, Quand tu descendras du ciel, Avec des jouets par milliers, N'oublie pas mon petit soulier. Et quand tu seras sur ton beau nuage, Viens d'abord sur notre maison, Je n'ai pas été tous les jours très sage, Mais j'en demande pardon

A nouveau, elle perd pied avec la réalité. Persuadée qu’elle chantait juste et en parfait accord avec ses copains du soir, elle ne se rend pas compte qu’ils ne sont qu’une bande braillant des paroles à peine claires et chantonnant en décalée. Elle n’entend pas non plus les versions parodiques de ses voisins, où le Petit Papa Noël était devenu le Gros Papa Noël, et dont la tâche était d’aller punir une vilaine maman qui demandait pardon, les fesses à l’air. Et elle reprend, mais en se contentant de répéter bêtement et docilement les paroles de ce voisin costaud, qui devait sûrement peser trois fois son poids tout mouillé. Rien qu’avec son bras, il enveloppait déjà la nuque et les épaules de la jeune femme.

@Maël Eschene

- Non, t’as tout faux ! Le Père-Noël est gros et grand ! Genre toi, avec des cheveux blancs, et beaucoup, beaucoup plus gros ! Dit-elle en tapotant l’estomac du brun.

Si elle sent qu’elle tapote à un corps bien solide, preuve qu’il faisait pas mal d’exercices, elle n’avait pas assez de lucidité pour le relever, pour s’étonner ou pour s’enquérir.

- Le petit bonhomme, c’est le lutin, genre … lui ! Dit-elle en désignant le gringalet. Ou elle ! Conclut-elle en montrant sa copine de petite taille, ayant eu la lubie de se déguiser sur la thématique de Noël.

Elle rit d’allégresse. Ivre, Paris gagnait en majesté et en magie. La Ville Lumière ne puait plus la pollution ou la pisse, Elle sentait le rosée et la bière. La jeune femme ne voyait plus ces gros rats qui se baladent dans quelques parcs, ou encore ces regards peu amènes lancés par quelques hommes peu recommandables.

Elle sourit de bon cœur. Éméchée, elle ne se méfiait plus des inconnus qui les accompagnaient, sa copine et elle, n’exprimait plus aucune curiosité vis-à-vis de leur prénom et ne cherchait pas à conduire une petite analyse psychologique à travers des questions bien placées ou une observation attentive de chaque trait ou de chaque geste.

Elle s’éclate à en avoir la tête qui tourne. Pompette, son esprit cartésien et rationnel était inapte à lui pourrir la soirée avec des remarques pertinentes, certes, mais tuant dans l’œuf toute notion de joie ou d’amusement. Or, elle ne désirait pas argumenter contre quiconque ce soir : elle ne voulait que se divertir.

Son pied glisse, et elle se rattrape à temps sur la chemise du Bûcheron - à défaut d’avoir un prénom, elle les avait affublé d’un surnom. Non, la chemise ne s’est pas déchirée - nous ne sommes pas dans une série ou un film américain à bas budget -, et elle ne l’avait pas fait tomber - elle est bien trop légère pour faire bouger une montagne humaine. Par contre, un ou deux boutons ont pu éclater. Heureusement, les divinités n’avaient pas à craindre une vilaine bronchite. Un brin égoïste, elle offre à peine un regard au brun, préférant plutôt chercher la raison de ce déséquilibre. Elle pense voir une plaque brillante. Si la pluie et le gèle avaient rendu les rues assez traîtresses tant pour les piétons que pour les voitures, le verglas ne tenait pas assez et la ville s’assurait de saler aussi vite que possible pour éviter quelques malheureux incidents et accidents.

A nouveau, réalité ou illusion ?

Vous croyez que le Père-Noël a toujours un traîneau, ou il a maintenant autre chose ? Parce que…. Y’a plus de neige pour glisser , suggéra-t-elle. Ayant un grand mal à retrouver son équilibre, elle se raccroche tantôt au Gringalet, tantôt au Bûcheron. Bordel, y a du verglas partout !

Elle parlait, mais était-elle écoutée ? On lui parlait, mais comprenait-elle ? L’affaire tenait bien plus du discours de sourds.

- Non, non. Je supporte bien l’alcool ! Je peux encore boire, plusieurs verres ! Allons dans un bar, et je te le prouve, argue-t-elle. Le sol est glissant, c’est tout. Pas ma faute !

Complètement ivre, la demoiselle ne se rendait pas compte qu’elle ne marchait plus droit, se cognant régulièrement à ses voisins, et qu’elle n’était plus qu’à quelques grammes d’alcool dans le sang avant de devenir une épave ambulante. Elle venait de faire une folle promesse, dont elle ne mesurait pas encore toutes les conséquences plausibles. Malheureusement, elle n’était pas étrangère à un tel état. Gamine fêtarde, elle ne ratait pas une occasion pour se rendre à quelques fêtes et enfiler un à plusieurs verres, en compagnie d’une bande de copains ou d’inconnus. Pour autant, elle n’en développait pas une meilleure tolérance à la boisson. Entre son petit gabarit ou son mode de vie chaotique, elle était l’une des premières de sa bande de copains à être ivre après une poignée de verres.

- Oh, la drôle de fabrique de lutins, en effet, se moqua maladroitement Oyrania. Il faudrait des petits lutins comme toi, en fait, dit-elle en désignant Esus. Assez forts pour travailler le bois, ou soulever tous ces trucs. Tu sais soulever du lourd, hein ? Je veux dire, ce sont de vrais muscles, pas de la gonf… ?
- Et si c’est une fabrique de lutins comme moi, tu voudrais venir ? glissa la seconde fille à l’attention de la divinité celte, interrompant volontairement Oyrania . En tout cas, moi, j’adorerai que tu viennes.

La copine profite de cette ouverture pour quitter le voisinage du gringalet, et se coller à Esus. Sans perdre un instant, elle profite pour presser sa poitrine contre son bras libre ou encore offrir un regard plein de sous-entendu – quoique nébuleux. Oyrania ne remarque rien, encore. Incapable de faire preuve du moindre jugement, elle se laissait tout simplement contaminer par les rires, les bêtises et les humeurs des uns et des autres.

- Le Père Noël en bécane, j’adore ! répondit-elle, tout en s’esclaffant. Et il fait la course avec le Grinch … Ou ils forment un gang de motards !

Oublieuse de tous les dangers et les menaces qu’une telle compagnie à la fois étrange et hétéroclite pourrait représenter, elle cherchait un bar attirant dans le brouillard de sa propre alcoolémie. Les établissements aux enseignes discrètes, ou à l’ambiance feutrée étaient éliminés d’office : ils étaient tout bonnement invisibles pour cette demoiselle abrutie par un mixte de cocktails et de shots.

- Je commence à avoir soif, et froid. Si vous connaissez un bar sympa, je vous suis. J’offre même la première tournée, annonce-t-elle, d’humeur généreuse. Comment ne pas l’être ? Au final, ses revenues sont tout bonnement données par des fidèles bien naïfs et bien fous, qui croient à toutes les bêtises que son père ou elle-même racontent tout au long de l’année. Et ils sont toujours plus nombreux, chaque jour.[/b]

Oyrania sentait bien le regard appuyé de sa copine, Amber*, mais était incapable de l’interpréter. Désirait-elle être seule avec son bûcheron d’infortune ? Au contraire, espérait-elle défier les bonnes mœurs avec une scandaleuse nuit, avec plus de deux corps ? Qu’importe ! La fausse blondinette se fichait des réponses, ou des envies de sa copine habillée en lutin. Cette dernière était assez grande pour se débrouiller toute seule, ou encore improviser.

A cet instant-ci, tout ce qui importait l’arnaqueuse était de prolonger cet état de béatitude en noyant les dernières traces d’une raison empoisonnée au fond d’un verre, ou plusieurs. La proposition du grand brun tombait donc bien à pic. Avant de passer sa commande, il vérifie bien que la petite demoiselle va payer. Pour seule réponse, elle gigote son téléphone entre les mains, prêt à servir de moyen de paiement. On lui tend l’appareil, elle pose son smartphone, et la transaction est aussitôt scellée.

Le bûcheron fait une petite annonce grivoise, à laquelle Amber répond aussitôt. Oyrania ne perd pas son temps, débutant son marathon. Entre temps, elle ne peut pas s’empêcher de marmonner et d’improviser une étrange petite comptine.

Dix petits shots se rendirent à un bar,
L’un d’eux se perdit au fond d’une gorge.
Il n’en resta plus que neuf.

Oyrania avale cul-sec, et s’attaque au second. Elle garde la tête haute.

Neufs petits shots commandèrent du citron,
L’un d’eux disparut pour une citronnelle pétillante.
Il n’en resta plus que huit.

Oyrania avale encore cul-sec, et agrémente cet arrière-goût amer d’un quart de citron. Elle est toujours vaillante.  

Huit petits shots attendirent au comptoir,
L’un d’eux explosa.
Il n’en resta que sept.

Oyrania avale, avec difficulté, cul-sec, et recrache une partie – dans le vide. Elle est prise par un fou-rire.

Sept petits shots cherchèrent une place,
L’un d’eux s’éclata.
Il n’en resta plus que six.

Oyrania tient le verre en main mais elle est basculée. Le verre se brise au sol, le liquide se répand partout. Elle laisse glisser un « oops ».

Six petits shots rencontrèrent quelques bières,
L’un d’eux se noya.
Il n’en resta plus que cinq.

Quelques types les entouraient, encourageant chacun ou chacune. L’un d’eux asperge, par inadvertance ou non, les participants de bière. Voilà que son verre est un mélange de rhum et de bière.

Cinq petits shots essayèrent un étrange mélange,
L’un d’eux mourut de terribles crampes.
Il n’en resta plus que quatre.

Le gringalet quitta la course, pour aller dégueuler tripes et boyaux dans quelques toilettes. Oyrania sent sa tête dodeliner.

Quatre petits shots décidèrent d’allumer le chauffage,
L’un d’eux fondit.
Il n’en resta plus que trois.

Amber continuait à chauffer son bûcheron. Oyrania regarde l’assistance, et conclut que le bûcheron était au-dessus du lot, malgré qu’il soit trop vieux à son goût ou encore qu’il ne soit pas son type.

Trois petits shots se déhanchèrent sur la piste de danse,
L’un d’eux glisse.
Il n’en resta plus que deux.

Le petit lutin du groupe est las de regarder. Ayant abandonnée la compétition il y a un moment, elle décide d’attirer ses deux compères sur la piste de danse. Oyrania est loin d’être « droite », ou en pleine capacité de ses moyens.

Deux petits shots firent de la randonnée dans la neige,
L’un d’eux gela.
Il n’en resta plus qu’un.

Oyrania avait bien trop chaud, et était trop désorientée. Subitement, elle était prise d’une lubie de sortir. Elle invite qui veut la suivre, et s’écrase dans la neige. Un soupire de soulagement s’échappe d’entre ses lèvres.

Un petit shot se trouva tout seul,
Il alla se pendre.
Il n’en resta plus Aucun.

- Saint Nicolas, où vas-tu ? Où va-t-on ? dit-elle, quand elle reconnaît la silhouette du bûcheron.

*Il était temps de lui attribuer, un prénom, à la copine PNJ xD ! Welcome à Amber.
** Concrètement, je la vois arriver à 6 (maximum).

Amber prend la décision pour deux. Sans sourciller, elle accepte la proposition faite par l’inconnu, et arrache déjà la fausse blondinette du contact glacé et humide de la neige. Oyrania était bien trop soul par les shots pour fournir le moindre effort intellectuel, ou exprimer sa réticence à l’idée de suivre un parfait étranger dans son chez-soi. Elle était à son aise uniquement dans un lieu qu’elle contrôlait – son appartement, ou le terrain et les locaux réservés pour la Communauté de la Nuit -, ou qui est bondé de monde de matin comme de soir, tels que les hôtels, les clubs privés, les ruelles sordides, ou les fêtes dans les souterrains ou dans les bois. A contrario, elle se sentait prise au piège dans les appartements d’une personne qu’elle ne connaissait pas.  

La jeune fille déguisée en lutin se met entre les deux. D’une part, elle continue à susurrer quelques cochonneries au brun, et d’autre part, elle soutient Oyrania qui est de moins en moins consciente de son environnement – ou de sa propre personne. Le taxi arrive, et les trois s’y engouffrent sans attendre. Le vrombissement du moteur est comme une délicieuse berceuse mécanique pour la petite Gourou, invitant cette dernière à s’abandonner dans les bras de Morphée. Pourtant, Amber devance le Sommeil et vient réveiller son amie en l’embrassant, profitant de ce contact pour glisser une petite pilule sur la langue d’Oyrania. Les deux actes ne surprennent pas et ne choquent pas la fausse blondinette.

Ayant grandie auprès d’un père qui ne jurait que par les vieilles divinités Gréco-romaines, elle avait appris, à travers ses lectures, qu’il n’existait pas une « identité sexuelle » : seules l’attraction pour les « belles » ou « intelligentes » personnes importaient. Gamine d’une époque moderne, elle avait une voix et, surtout, le libre droit de disposer de son corps. Et Oyrania Weber avait décrété que tous ces us et coutumes inspirés des textes sacrés des religions monogames et liés à la sexualité et l’amour étaient des « bêtises » et des « conneries ». Elle refusait de jurer une quelconque fidélité à un seul homme, parce que la société l’imposait. A l’inverse, elle n’était pas non plus fermée à cette même idée si la personne qui se présentait à elle en valait la peine.

Quant à la petite pilule magique, et inconnue, elle n’était qu’une autre incartade parmi ses nombreuses dérives passées, présentes et futures. Quand votre vie est constamment passée sous la loupe, tantôt par un groupuscule obscur, tantôt par la police pour quelques investigations de petites envergures, que vous naviguez entre un père frappe-à-dingue ne reculant devant rien pour arnaquer les gens – incluant l’usage d’hallucinogène – et une mère charmante certes mais étrange à sa façon – elle ne vieillissait pas depuis deux décennies ! –, et que vous êtes un brin trop intelligent pour votre propre bien, les vices, les dérives, les folies et les excès ne sont jamais bien loin. Ils permettent de vous libérer de cet avatar que vous jouez, de noyer cette pointe de culpabilité qui vous étreint pour être complice d’un crime, et surtout faire partie pleinement de la folie même de ce monde.

Sauf qu’alcools et drogues ne font jamais bon ménage. Les mauvaises décisions sont légion : Esus ne répond à aucun de ses critères physiques ou intellectuelles, et voilà qu’elle va chez lui. Les risques pour sa santé croissent à chaque nouvelle faiblesse :  Oyrania se sentait étrangement fiévreuse. Et tout s’arrête, subitement. La décoration l’interpelle, considérablement.

- Dis-donc, t’adores la culture celtique, dit-elle d’office, reconnaissant un ou deux éléments.
- Flingue pas l’ambiance, Oyrania, ordonne Amber aussitôt.

Nyx était, avant tout, esthète et avait transmis le goût de l’amour du beau et de l’art à sa fille. Son père avait transmis une curiosité religieuse vis-à-vis de différents panthéons, surtout ceux qui ont servi d’inspiration, qui ont été assimilé ou qui ont été accepté par les Grecs, ou par les Romains. Si elle n’avait pas des connaissances poussées vis-à-vis du panthéon celtique, elle avait quelques menus notions. Malheureusement, ou heureusement, Amber ne partageait pas cette curiosité. Elle collait le brun, se débarrassant déjà de sa propre tenue de lupin tout en couvrant de baiser ou de promesses – encore et toujours.

- Bizarre … les Celtes étaient plus animistes que … , se rappelle-t-elle avec un très grand effort. C’est qui … s’interroge-t-elle en fixant une sculpture en particulier, barbouillant à moitié.
- On s’en fout. Arrête de jouer ta demi-déesse, ce soir, répond Amber, cherchant déjà à grapiller les lèvres d’Oyrania. Cette dernière se laisse faire, mais sans grand entrain. Son regard est toujours fixé sur une représentation spécifique. Amber s’agace et s’impatiente, reportant déjà son attention sur le brun.Si t’arrives à la convaincre à nous suivre, sinon c’est toi et moi.

Elle ne voulait pas attendre, la petite Amber.

Amber et Oyrania ne partageaient quasiment aucun centre d’intérêt et étaient rarement du même avis sur bien des sujets. La première était délurée et insouciante, préférant suivre les magazines de fashion ou de people et appréciant les garçons du gabarit du mec de ce soir. La seconde était calme et réfléchie, s’amusant davantage avec un traité philosophique ou un tour de magie et ayant une préférence pour les intellectuels indécis et malléable. Pourtant, tous les vingt-cinq décembre de l’année, elles se retrouvaient pour aller traîner dans quelques fêtes, ou bars, et trouver un – ou des compagnons, selon leurs humeurs respectives – pour la soirée. Malgré leurs nombreuses différences et désaccords, elles avaient en commun des parents « absents » … et un certain dégoût, presque viscérale, de Noël. Ceux d’Oyrania ne fêtaient pas cette sainte nuit de l’Unique, là où ceux d’Amber étaient toujours dans quelques voyages d’affaires. Bon gré, mal gré, les deux demoiselles avaient fini par accorder leurs violons depuis leurs rencontres, soit une dizaine d’années plus tôt.

- Tu en as déjà rencontré beaucoup des Celtes ? Demande le propriétaire des lieux.

La fausse blondinette aurait voulu répondre qu’ils étaient « morts », que c’était le nom d’une communauté qui n’existait plus depuis bien longtemps. Qu’importe que la discussion ait lieu avant ou après un acte, cette stimulation intellectuelle la mettait toujours dans d’excellentes dispositions. Malheureusement, son esprit n’était pas des plus clairs ce soir, préoccupé par cette chaleur étouffante qui se propageait dans tout son corps, et ses compagnons semblaient être davantage aimer l’action à la parlotte. Amber était déjà aussi nue qu’un vers, à l’exception d’un soutien-gorge et d’un string. Si le Gourou avait encore toute sa verve, elle aurait bien aimé ajouter un petit et mesquin « Miraculeux, t’as encore un truc sec sur toi ! ».  Sauf que la demoiselle était dans les vapes, réagissant tardivement à ce qu’elle voyait ou qu’elle entendait. Ses neurones avaient quelques petits soucis de logistiques, jusqu’au cerveau.

« C’est quoi, ça ? » s’interroge Oyrania, fixant une des sculptures avec fascination. Celle-ci s’était parée de couleurs légèrement plus vives, contrastant avec son environnement, et ses formes se tordaient légèrement, lui apportant un souffle de vie. Cependant, ce n’était pas la seule bizarrerie, car ce mal se répandait sur tous objets qui composaient le salon du loft … jusqu’aux deux corps entrelaçaient et entortillaient. Maël tenait plus de la statue grecque, avec ce corps des plus agréablement sculptés, là où Amber se retrouvait avec des proportions bien trop généreuses que ce qu’il en était vraiment. La pilule magique d’Amber faisait bien effet : la fausse blondinette n’avait plus pied dans la réalité.

Quand elle sent une main sur son poignet, elle se laisse traîner.
Quand d’autres lèvres se plaquent contre les siennes, elle ne résiste pas et rend le baiser.
Quand on lui soulève les bras pour lui enlever son haut, elle s'exécute.

Elle n’était pas vraiment un chiffon, mais elle n’était pas non plus une lionne. Elle était entre temps, se laissant emporter par le courant avec un regard à la fois amusé et rêveur vers les sculptures. Elle voyait sans réellement voir.

Extasie ? Amphétamine ? Quel que soit la drogue utilisée, ce n’était clairement pas cette fameuse drogue des violeurs. La fausse blondinette était encore plus ou moins en possession de ses capacités. Son engourdissement, ou son manque de discernement, tenait plus de la quantité d’alcools ingurgitée. Quoiqu’elle a pris, en prime, ajoutait simplement des sensations olfactives, sensorielles ou visuelles nouvelles et presque extatique.



***

Le réveil est particulièrement difficile pour Oyrania. Migraineuse et désorientée, il lui faut plus d’une dizaine de minutes avant de trouver toute la force nécessaire pour se relever et prendre connaissance de son environnement – ou plutôt, s’en rappeler. Telle une Reine, la plantureuse Amber trônait au milieu du lit – quoique, plus collée à une montagne de muscles. Aussitôt, les événements reviennent en mémoire, tantôt clairs, tantôt vagues. Une main s’attarde sur son épaule, où Amber l’avait suffisamment mordu pour y laisser une légère trace. L’autre main se perd dans sa chevelure, à laquelle il n’était jamais désagréable de s’agripper. En un flash, des souvenirs fusent.  « J’ai besoin d’un bon bain » est sa première pensée.

« C’est pas un hôtel …Fais chier » est sa seconde pensée. Elle détestait plus que tout de se réveiller dans l’antre d’un parfait étranger. Il y avait tellement de risque de finir chez un psychopathe…  « Faut vraiment que j’arrête, ces conneries, un jour » est sa troisième pensée. Evidemment, cette promesse est comme une résolution prise au Nouvel An : éphémère, illusoire et mensongère. Dès que nous retrouvons nos esprits, nous retombons dans nos travers.

Elle profite que les deux partenaires dorment, pour quitter le lit discrètement et partir à la quête de ses vêtements ou de son sac à main – par exemple. Arrivée au niveau de l’homme, elle sursaute. Le type avait les yeux ouverts. « et merde » est sa quatrième pensée. Comprenant que c’était peine perdue de s’éclipser comme une voleuse, elle ne fait pas plus d’efforts, se relevant, la figure aussi pâle qu’une morte, quoique les joues encore rosées, et à peine gênée par sa nudité.  

- Je vais prendre une douche, informa-t-elle, le laissant interpréter comme il le désirait. Tout ce qu’elle savait était qu'elle devait passer un coup de savon sur ce corps.

- Un café bien serré, sans sucre, s’il te plaît, lui répondit-elle, à peine gênée que le type se brosse tranquillement ses dents alors qu’elle allait se laver. La pudeur était une notion surfaite, voire inexistente, dans le cas de la jeune fille. Ses origines greco-allemandes, et son éducation libérale, y avaient considérablement contribuées. Et puis, elle avait tout le loisir d’apprécier sa musculature du divin. Je vais partir avec Amber, si ça te va, ajoute-t-elle.

Elle se rendait qu’elle ne connaissait pas le prénom du type et était quasiment certaine que lui non plus n’avait nulle idée du sien. Si d’aventure, elle l’avait dite hier soir, elle doutait qu’il s’en souvienne. Oyrania n’était clairement pas un prénom facile à se remémorer, ni français, ni allemand, ni pleinement grec. C’était une lubie de son père, ou de sa mère, elle ne pourrait plus dire ! Et puis, de toute façon, ce n’était guère important : ils n’allaient pas se revoir.

La douche avait été des plus agréables. Si l’eau chaude avait fait un grand bien à des muscles endoloris et malmenés avec délice et force, l’eau froide avait été revigorante et revitalisante. Elle profite d’être au calme, pour étudier son environnement et pour deviner si elle était tombée dans le repère d’un psychopathe ou d’un sociopathe. Il semblerait que non. Elle entend Amber grogner, révélant davantage son corps. Difficile de ne pas glisser, sur elle aussi, un regard pétillant d’intérêt. Malgré tous ses défauts, ou qu’elle soit la pote « de dernier recours », la délurée copine avait une sacrée plastique et un véritable talent au lit. D’humeur joueuse, voilà que la fausse blondinette se penche sur elle et l’embrasse ici et là pour la réveiller. Loin de grogner, Amber ricane et glousse. Oyrania sourit : l’amie était « presque » réveillée.

Le ventre grognant un peu, elle conclut qu’elle devait se diriger là où le café l’appelait.

Encore un peu désorientée, le Gourou cherche vainement son sac. Il n’était pas dans la chambre. Elle conclut qu’il doit être au salon – ou, du moins, elle l’espère. Certes, sa perte ne sera pas chaotique – elle n’avait nulle pièce d’identité –, mais il y avait quand même quelques vitamines pour les lendemains difficiles, avec gueule de bois, et son téléphone. Enroulée de la serviette de bain qu’elle avait déniché, elle fait d’abord un tour de la grande pièce à vivre, trouvant bien vite l’objet de ses convoitises. Sans plus tarder, elle récupère ce qui l’intéresse, et se dirige vers le brun.

- Ca ira mieux dans quelques minutes, répondit-elle, plaquant ses lèvres contre les siennes pour le gratifier d’un long et langoureux baiser. Entre temps, sa main se balade sur le torse et sur le bas-ventre. Et puis, elle le quitte, souriante. Lorsque la soirée avait été aussi agréable, gueule de bois ou non, elle était d’humeur à la fois lascive et guillerette. Habituée à travailler de nuit et à dormir de jour, Oyrania avait naturellement développé une préférence pour les câlins du matin.  C’était un peu l’équivalent de sa « nuit ». Et toi ? , demande-t-elle avec malice.

Tranquillement, elle prépare son verre d’eau vitaminée – c’est-à-dire un verre propre, de l’eau de robinet et une tablette effervescente de son tube de vitamines –, et l’avale d’un coup, les traits crispés. Ce n’est que lorsque le rituel matinal est accompli qu’elle veut bien prendre quelques gorgées de ce café noir, et amer. Quand l’inconnu lui demande si elle souhaite manger du sucré ou du salé, elle conclut qu’il n’était pas un horrible goujat.

- Si tu as quelque chose de sucrée, en plus de cette pomme, je veux bien, dit-t-elle en se saisissant du fruit en question, qui trônait dans les parages. Merci pour le café.

Le café offrait l’amertume, là où la pomme ajoutait sa touche d’acidité. Il ne manquait plus que la touche de douceur, pour commencer une journée déjà bien entamée. Elle se saisit de son téléphone, pour vérifier s’il y avait une quelconque urgence ou messages importants. Rien à l’horizon, si ce n’est un rappel qu’elle devait être à un rendez-vous pour une répétition d’une énième arnaque, vers minuit – dites courtoisement, et dans un langage codé, évidemment.

- On est dans quel quartier ? , demande-t-elle, ne reconnaissant clairement pas le spectacle qui s’offrait par la fenêtre. On dirait les Quais de Bercy, se demandant si elle n’était pas tombée chez un quelconque petit riche avec la lubie de transformer de vieux entrepôts en demeure spacieuse.  

En haut, on entendait la douche.

- Y a besoin qu’on parte à une heure précise ? . La question était posée d’un ton anodin, mais déjà mille et une pensées voltigeaient dans son esprit.

Au grand plaisir de la fausse blondinette, l’homme comprend son message. S’il se colle à elle pour l’embrasser à la clavicule ou à la mâchoire, Oyrania est davantage excitée par le désir qu’il exprimait franchement, qu’elle pouvait sentir contre ses fesses ou qu’elle pouvait voir un peu plus tard. Il était prêt à servir toute demoiselle en demande, malgré cette longue et agitée nuit. Il se décolle pour répondre aux exigences gastronomiques de l’humaine, mais revient presqu’aussitôt pour se poser à ses côtés.

Son aveu qu’il avait encore du temps libre arrache un sourire au coin à Oyrania. Oh, il était définitivement volontaire pour répondre à ses exigences, ainsi que celles d’Amber. Cette dernière allait être ravie, sûrement. Cependant, cette matinée allait assurément différer de la nuit, car il n’était plus question de deux filles à demi-abrutie et, ou, à demi-délurée par des pilules et des liqueurs à gogo, mais deux filles un peu endormies mais pleinement conscientes, maîtresses de leurs envies et de leurs gestes.

Le second baiser qu’il lui offre ne dure pas longtemps. Oyrania l’interrompt, se saisit du boxer pour le tirer sur deux ou trois pas avant de l’abandonner pour lui tourner le dos, et se diriger tout droit vers la chambre qu’elle avait voulu quitter à pas de souris, il y a peu.

Si elle avait été chez elle, Oyrania aurait assurément pousser chacun à aller prendre sa douche, grappillant les dernières secondes paix et de nonchalance. Malheureusement, ce n’était pas le cas. Et aussi plaisant et aussi énergique soit le propriétaire des lieux, il n’en restait pas moins un étranger qu’elle ne comptait plus revoir, et avec lequel elle ne voulait pas avoir une quelconque conversation. L’affaire avait été réglée, chacun prenant ce qu’il voulait de l’autre. Fin de l’histoire. Elle se fichait de son nom, de son prénom, ou de son mode de vie. Savoir qu’il était ébéniste de la marine était déjà une information en trop. Prenez-vous soin de vous rappeler du mouchoir que vous jetez à la poubelle après vous être mouché ? Non. Telle était la valeur de ces amants passagers, surtout ceux de Noel ou de Nouvel An, aux yeux de la fausse blondinette. Une indécence passagère, un manque à combler, une nuit à occuper là où d’autres chantent, trompent ou offrent des cadeaux.

Sans plus tarder, malgré des jambes en coton, elle quitte ces draps en question pour prendre une douche. Malgré elle, elle sourit. Comment ne pas l’être après une telle nuit de débauche ? Et puis, tout affres de la veille avait quasiment disparu. Elle était aussi « fraiche » qu’elle pouvait être après une nuit quasiment blanche, une matinée agitée, et un paquet de pilules hallucinogènes ou de vitamines. Il faut dire que ses longues nuits au sein de la Communauté, ou ses beuveries régulières, accouplés à sa jeunesse, rendaient la reprise déjà plus facile. L’affaire sera sûrement autre dans une décennie, mais elle y pensera à ce moment-là. Pas maintenant. Pas aujourd’hui.

Amber marmonne. Elle, contrairement à Oyrania, aime bien parler de trucs personnels. Non, il n’est pas question de savoir si monsieur était marié, avait des gosses ou ce genre de choses. Non, c’était plutôt savoir s’il faisait souvent la fête, s’il aimait traîner quelque part en particulier, s’il était possible de se croiser encore. La demi-grecque garde toujours le silence, remontant la piste de sa soirée et matinée, sur base de vagues souvenirs et hasardeux suppositions, pour rassembler ses affaires. De fil en aiguille, elle trouve ses fringues, son sac et ses chaussures. Contre gré, elle les enfile. C’est que ça pue la clope et l’alcool. Or, elle n’était plus à moitié défoncée, et toutes les odeurs remontaient bien à ses délicates narines.

- Amber, on y va !

Amber grommelle et dit qu’elle arrive. Amber, seul prénom prononcé et connu du trio. Oyrania ne connaissait toujours pas le prénom de Maël, et inversement. La situation n’était pas cocasse ou surprenante pour la petite escroc. C’était ce qu’elle voulait. Elle avait suffisamment prévenu Amber, au fil des années, de ne jamais, ô grand jamais, dire son prénom à quiconque. Un prénom était important, selon sa mère, car il pourrait être utilisé contre elle. On avait effrayé Oyrania à coup de malédiction. Aujourd’hui, suite à une perte de Foi au fil des années, elle avait conclu que c’était surtout pour éviter d’être harcelée à coup de réseaux sociaux et autres conneries du genre.

Elle était bien loin de deviner que toutes ces mises en garde étaient vraies, que le type de ce soir pourrait la lier à un contrat de sang, que chaque parole compte et information importe dans le monde des divins. Elle vivait dans le déni que les Divinités existaient bien, et marchaient parmi les Hommes. Elle ignorait que l’Immortalité était un monde bien petit, que sa mère avait eu une aventure avec le frère de cet ébéniste, qu’elle aurait même eu un léger flirt platonique avec ce dernier. Oui, le Monde était petit qu’importe que nous soyons Humain ou Divin. Nous sommes tous embarqués dans le même bateau.

Et elle quitte cette propriété avec son amie, et s’engouffre dans un Uber appelé.