L'Escalade

Toutes les plus anciennes entités du monde le ressentent. Les nouvelles, plus puissantes, aux sens plus aiguisés, le perçoivent aussi. Le premier meurtre divin a tout changé. Il est significatif de ce qui risque de tous leur arriver, s’ils ne se rassemblent ni ne se défendent. Beaucoup ont cherché à retrouver les artefacts de puissance qu’ils détenaient autrefois, et que l’Histoire, leurs concurrents ou les hommes, les en a privés depuis longtemps. D’autres ont voulu savoir…

Des premiers pactes furent noués. Freyja, désemparée par la mort d’Odin, fit appel à d’anciens adversaires pour enquêter sur sa mort, leur couverture liée Interpol pouvant leur assurer l’anonymat durant les investigations. Jadis, celtes et nordiques s’opposaient autour du Rhin dans des conflits sanglants, entre gaulois et germains, mais le temps et les épreuves communes avaient fini par atténuer les rancœurs du passé. C’est ainsi que Teutatès, entouré de Morrigan, Chulainn et Epona, partit enquêter dans le Grand Nord. Ils y récoltèrent des indices, leur permettant d’émettre des hypothèses, avant que des trafiquants d’arts appâtés par la promesse des collections gigantesques du vieux fou mort sur sa montagne, ne viennent jouer les troubles-fêtes. Les celtes éliminèrent toute opposition dans le sang, et durent s’expliquer avec les autorités locales.

Plus grave, Epona avait « emprunté » un bouclier dans les collections d’Odin, un objet de grand pouvoir, légendaire, appartenant à la déesse Sol. Lorsque les nordiques Thor et Tyr apprirent qu’il y avait un objet disparu dans les réserves du Père de Tout, ils en conclurent que les voleurs avaient profité du meurtre de leur glorieux chef pour se servir dans ses trésors, et peut-être même avaient-ils trempé dans son assassinat odieux…

Des explications furent réclamées. De force. Epona fut capturée, battue. Loki avait mis son grain de sel, et démarré un engrenage meurtrier… Ivre de rage, Teutatès rassembla son panthéon pourtant brisé depuis deux millénaires, et mobilisa des alliés. Au quatuor parti pour la Norvège, il ajoutait Taranis, Meduna, Circé. La confrontation fut violente, les deux camps sourds aux arguments et explications de leurs vis-à-vis. La ligne rouge avait été franchie en passant Epona à tabac. Loki et Sol furent violemment repoussés par Meduna et Taranis, Tyr fut brisé par Teutatès, qui abattit en sus une Valkyrie. Les soit-disant « renforts » de Loki furent aussi dangereux pour leurs ennemis que pour leurs alliés, Freyja, Teutatès et Morrigan furent blessés par des trafiquants russes qui pensaient naïvement éliminer deux groupes concurrents dans leurs petits commerces illégaux.

Une chose était sûre ; la guerre était déclarée. Loin de s’unir, les païens venaient de se réveiller aux appétits belliqueux qui avaient jadis ravagés des pays entiers pour leur gloire.

Il n’y avait pas que chez les païens et leurs vieilles inimitiés qu’il y avait du grabuge.

Le Diable en personne et ses séides, indolents après des siècles de paix relative, organisaient une petite sauterie en région parisienne. Des divinités païennes, des célébrités humaines, et même des Nouveaux Dieux faisaient partie du gratin invité -ou qui était venu quand même-, assistèrent à la plus simple expression de la débauche et du vice dont les démons s’étaient fait une spécialité. Il y avait du lourd, entre Lucifer ou Lilith. Quelle ne fut pas leur surprise, alors, d’assister à l’arrivée d’anges, Gabriel, Uriel et Métraton, au beau milieu de la fête. Avec un avertissement, qui fit frémir la conscience des démons présents. L’heure n’était plus à la paix ou à l’ignorance, le monothéisme devait frapper en premier maintenant que la mort d’un divin mettait le feu aux poudres. Si jamais Lucifer et les démons ne s’exécutaient pas, alors ils seraient dépouillés de leurs pouvoirs et responsabilités par Dieu en personne. Bluff ? Menace réelle ? Depuis toujours, la stratégie du panthéon monothéiste était d’émuler la conscience des Hommes par les anges et les saints… Et de les punir et contrôler par la peur des démons. La carotte et le bâton, en somme. Stratégie qui leur avait permis d’inspirer ou de contraindre, mais dans tous les cas, de contrôler.

Certains, dans le public, n’en ratèrent pas une miette. Dont Internet, présente par curiosité et qui ne se déplaça pas pour rien. Une vidéo fut prise, captée, et diffusée. Ces « preuves » de l’existence de Dieu et de ses serviteurs, si elles furent aussitôt identifiées comme un spectacle, une mise en scène, galvanisèrent pourtant les fanatiques du panthéon monothéiste. Dans les jours qui suivirent, de nombreux symboles des divinités du passé ou du présent, souvent des sites archéologiques ou des sièges de la finance et des médias, furent retrouvés tagués ou couverts de faux sang, profanés d’une façon ou d’une autre. « Décadents », « Pécheurs », « Dieu reconnaîtra les Siens » se déclinèrent en une infinité de langues et de variations comme autant d’avertissements belliqueux.

Dieu était en colère. Le monde avait oublié qu’il n’était pas qu’une figure lointaine et protectrice. Il était temps de se rappeler qu’il avait conquis le monde en des milliers d’années de luttes féroces et de manœuvres patientes pour la conquête de l’âme humaine.

Les cellules de l’Organisation s’activaient, elles aussi. A Paris, de nombreux agents ont pu élire l’un de leurs nouveaux sages, le chef du groupe en Europe. Ils ont pu l’élire à une très courte majorité… Johan Christensen, le tout premier tueur de dieux tout juste revenu de Norvège. L’homme avait adopté un discours offensif, tout prêt qu’il était à enclencher la vitesse supérieure pour combattre les divins, qui depuis toujours limitaient le potentiel humain par l’adoration de fausses idoles.

Le plan était clair ; réunir des informations plus par souci de connaissance des ennemis déclarés de l’institution et leurs serviteurs, mais d’identifier les véhicules humains des divinités. Identifier les cibles, pour mieux les détruire. Masha Lancaster fut ainsi chargée de remonter la piste des celtes venus enquêter sur la mort d’Odin. Evidemment, les déicides surveillaient par leurs contacts les allées et venues, la mort du divin étant un piège pour découvrir d’autres dieux et les prendre en filature… Céleste Giacovelli se voyait définir une mission vitale, qui devait honorer plus que toute autre les principes des Déicides. A Paris, les plus folles rumeurs couraient sur des réseaux de traite des blanches, danseuses, masseuses, prostituées, alors que l’Organisation avait acquis par son réseau la quasi-certitude que des démons étaient à l’œuvre. La présence de Donovan Smith, chanteuse célèbre mais déicide en secret, à la soirée du Diable, permit d’accréditer plus encore cette piste… Restait le jeune Alexandre Durand, qui était jeté quant à lui sur les traces d’une divine transformée en lionne, qui avait fait grand carnage de délinquants une nuit aux quais de Seine, quelques mois plus tôt sans que les autorités locales puissent expliquer le bain de sang. Bastet avait frappé durement, et avec de l’assistance sur les traces de laquelle se mettaient aussi en chasse les déicides.

A Istanbul aussi, les choses bougeaient. Le Graal, récemment retrouvé par des archéologues en Anatolie, fut exposé en procession au cœur d’Istanbul, dans un événement sous haute sécurité sensé rapprocher chrétiens, musulmans et orthodoxes autour du calice de nature divine. C’était sans compter sur l’influence grandissante des déicides sur plusieurs gouvernements, dont celui d’Ankara. L’évènement vira au chaos, au carnage même, alors que des coups de feu claquaient et que des créatures présentes, liées au Dieu Unique, passaient sous le contrôle d’un artefact de grande puissance… C’est ainsi que Saint Antoine essayait de sauver la situation en exorcisant un Sphynx tout proche qui attaquait la foule, mais qui fut finalement abattu par les forces de sécurité. Caïn combattit des démons et aurait pu se racheter auprès de Dieu en récupérant le Graal, mais n’y parvint pas dans le chaos environnant. D’autres divinités présentes, Mama Quilla, déesse de la Lune inca, ou Artémis, olympienne de passage, tentèrent de protéger ou de s’emparer du Graal. En pure peine. Piège terrible orchestré par les déicides d’Asie Mineure, la coupe n’avait rien de divin… Hormis le sang prétendument du Christ qui l’emplissait, mais qui était de fait prélevé aux blessures d’Odin lors de sa mort. Artémis laissa l’inca dans une mare de sang et s’enfuit avec la coupe, ne découvrant que trop tard qu’elle avait été bernée. Les autorités turques mirent alors un mandat d’arrêt international sur sa tête, et les tueurs de dieux ne pouvaient que se frotter les mains devant l’étendue du carnage et le nombre de divinités et de créatures mythologues identifiées, et parfois abattues.

D’autres déicides se voyaient offrir quantité d’autres missions, dans toute l’Europe et le monde entier.



Points clefs de l’intrigue
# A la télévision, dans de nombreux pays d’Europe Occidentale, tournent les portraits-robots de Taranis et Epona. Ils sont présentés comme des extrêmistes politiques très dangereux. Elle l'ignore mais une enquête pour vol a été ouverte et Epona est suspectée. Elle serait en possession d'un bouclier appartenant à la famille des De Villiers dont la preuve incontestable d'appartenance a été donnée. Les celtes peuvent se douter que les nordiques en savent plus encore puisque plusieurs d'entre eux, divinités mineures, ont vu leur enveloppe abattue par la police.
# Thor et Loki battent le rappel des nordiques, même si Sol, Tyr et Freyja sont en position de jeter un doute sur le rôle réel de Loki lors de la confrontation avec les celtes.
# Seuls les celtes, nordiques et leurs alliés éventuels respectifs sont au courant de la guerre ouverte entre leurs camps.
# En revanche, il y a eu des témoins lors de la soirée publique de Lucifer, dont une vidéo. Bien sûr, tout le monde croit à un spectacle, à un fake, un événement prévu à l’avance. Seuls des groupuscules dirigés par des créatures ont pris l’amusante vidéo comme un signal, et sont passés à l’action.
# Artemis ne voit pas son identité dévoilée, mais son visage passe aussi dans sur les chaînes d’informations. Comme personne ne sait rien sur elle, elle peut sans doute être reconnue mais les chances restent maigres.
# Evidemment, l'existence des déicides reste pour l'instant secrète, et personne ne sait quelles sont leurs missions et objectifs en jeu puisque personne ne sait encore qu'ils existent.